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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/506

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quel mobile surtout me poussait ? Je voulais rendre torture pour torture, et, par de cruelles représailles, faire souffrir aux martyrs de ma coquetterie ce que m’avait fait souffrir Maurice par son inconstance ! Hélas ! ce besoin de vengeance était encore de l’amour, — ajouta Jeane d’une voix déchirante ; — j’aimais toujours Maurice, je l’aime toujours !

— Qu’entends-je ? s’écria Delmare.

Et sa désespérance se changea soudain en un radieux espoir.

— Tu aimes encore Maurice ?

— Si je l’aime ?… Ah ! malheur à moi ! mon amour pour lui est devenu plus vif que par le passé, depuis que j’ai lu ta lettre, mon père. Ce n’est plus du courroux que je ressens contre celui qui fut mon fiancé, c’est une tendre pitié.

— Jeane, mon enfant chérie !… — reprend Delmare en proie à la plus douce émotion et voyant déjà son espérance presque accomplie, — tu es sincère ; il m’est impossible d’en douter, ton amour survit à l’infidélité de Maurice. Tu lui as pardonné son égarement éphémère.

— Ah ! comment ne pas le pardonner, mon père ? Ne m’as-tu pas instruite du péril de mort qu’il avait couru ? ne m’as-tu pas appris de quelles perfides et infâmes manœuvres on l’avait entouré ? Lui, si ingénu, si confiant, si loyal ! comment n’aurait-il pas succombé à tant de séductions ? Aussi, remords tardifs, regrets stériles ! j’ai versé des larmes amères en songeant qu’emportée par l’orgueil, aveuglée par la colère, j’ai impitoyablement repoussé Maurice, lorsque, rougissant de son inconstance, effrayé des entraînements qu’il prévoyait, il revenait à moi, il revenait au bien, implorant son pardon. Ah ! maudite soit ma dureté, il était temps encore, peut-être, et pour lui et pour moi, d’échapper à la fatalité qui nous entraîne à un abîme de malheurs !

— Il est temps encore d’échapper à cette fatalité. Nous sommes sauvés, viens dans mes bras, fille bien-aimée ! — s’écrie Delmare, ivre de joie et serrant contre lui sa fille. — Sais-tu ce qu’avant-hier encore me disait Maurice ?… « J’éprouve pour Jeane ce que je n’éprouverai jamais sans doute pour aucune autre femme. Ah ! si elle n’eût pas aimé San-Privato, si elle me fût restée fidèle, je lui demanderais peut-être l’indulgence pour le passé, un refuge contre un avenir dont je prévois les périls, parce que je connais ma faiblesse, et, par mon repentir, par mon affection désormais inaltérable, je saurais regagner le cœur de ma fiancée… »

— Cher et bon Maurice ! Vraiment, il disait cela, mon père ? vraiment, je n’étais pas seule à pleurer notre affection brisée, nos