Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/516

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

idole, et, demain, ils renieront, ils insulteront ce qu’ils ont adoré la veille.

— Eh ! qu’importe à l’idole, enivrée de l’encens de ses nouveaux adorateurs, l’insulte de ceux qu’elle raille, qu’elle méprise, qu’elle a tenus le front dans la poussière, sous le talon de sa bottine, et qu’elle laisse si loin, si loin derrière elle, dans le néant de son oubli !

— Mais les oubliés n’oublient pas, Jeane, et à leur tour ils se vengent !

— Pour se venger, il faut agir ; quelle action, quelle prise peuvent-ils avoir sur l’insaisissable doña Juana ? Elle échappe à tous, parce qu’elle les devance ; elle prévient le dédain par le dédain, l’insolence par l’insolence, l’abandon par l’abandon, l’inconstance par l’inconstance ! Ah ! don Juan, pour peu qu’elle le veuille, tu seras toujours joué, humilié, bafoué, vaincu par doña Juana !

— Pourquoi ?

— Parce qu’elle frappera don Juan de ses propres armes, parce qu’elle lui fera le mal dont il la menaçait ! parce qu’enfin l’homme reste toujours stupéfait et surtout stupide, en voyant la femme accomplir les noirceurs qu’il méditait contre elle !

— Ah ! — pensait Charles Delmare en écoutant sa fille, — cette malheureuse enfant m’épouvante par la logique de sa perversité naissante ! Quels prompts ravages ont faits dans cette jeune âme les exécrables sophismes de ce monstre ! Il a flétri l’âme et le corps de mon enfant. Ah ! j’aurai sa vie !


XX

Jeane, remarquant le silence momentané que gardait Delmare, lui dit avec tristesse :

— De telles paroles dans la bouche de ta fille, ton élève du Morillon, te surprennent et t’affligent, pauvre père ?