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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/521

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ble proposition, un plan de séduction suivie de délaissement ; mais elle se croyait assez forte, assez sûre d’elle-même pour résister à la séduction et n’avoir ainsi rien à redouter de son séjour chez sa tante ; elle n’hésita donc pas à aller demeurer sous le même toit que San-Privato, ne supposant même pas la possibilité du guet-apens nocturne où elle devait succomber. Mais, en suite de ce crime et des révélations contenues dans la lettre de son père, Jeane voua une haine implacable à San-Privato, fermement résolue de ne renoncer, sous quelque considération que ce fût, à la vengeance qu’elle rêvait ; elle connaissait la terreur de San-Privato pour le ridicule et se sentait certaine de le frapper atrocement ; puis l’accomplissement de cette vengeance répondait à la perversité des mauvais penchants éveillés en elle. Cependant, déclarer à son père que, malgré ses conseils, ses tendres prières, elle persévérait dans ses projets de vengeance, c’était risquer de le blesser incurablement, de l’éloigner peut-être à jamais ; or, un vague pressentiment disait à Jeane que sans doute viendrait un jour où elle n’aurait plus d’autre refuge que le cœur paternel. Mais comment, sans trahir sa résolution secrète, se refuser aux désirs de Charles Delmare, si empressé de regagner sa solitude du Jura ?

Jeane songeait aux moyens de résoudre ces difficultés, alors que son père, croyant l’avoir détournée de ses desseins, la serrait entre ses bras en lui disant :

— Va, fille chérie, réunis tous deux, nous serons bien forts contre l’adversité !

Delmare prononçait ces derniers mots, lorsqu’il entendit la voix de Geneviève qui, après avoir en vain essayé d’ouvrir la porte, y frappait extérieurement en disant :

— Charles, mon Charles, c’est moi ; puis-je entrer ?

— Certes, bonne mère, et tu ne pouvais venir plus à propos, — répond Delmare.

Et, s’empressant d’aller ouvrir la porte, il introduit sa nourrice dans la mansarde.

Geneviève, à peine entrée dans la chambre, interroge d’un regard humide son fieu, qui, lui montrant Jeane et la poussant doucement, lui dit :

— Va, embrasse ta fille… et aime-là… comme tu as aimé le père… Elle et moi, nous ne nous quitterons plus désormais.

— Mademoiselle, vous permettez ? — dit d’une voix émue et ravie Geneviève en s’avançant vers Jeane.