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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/529

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entraînements de son âge, je croirais, ainsi que l’on dit vulgairement, que San-Privato se dérange. »

— Le prince ne t’a rien dit de plus ?

— Non.

— Eh bien ! il s’abuse en ajoutant foi à la fermeté de mon caractère. Je me suis, ainsi que l’a dit le prince, complétement dérangé. Je deviens stupide, incapable d’une occupation suivie, ou, pis encore, l’aberration de mon esprit m’empêche de m’apercevoir des erreurs, des non-sens que je commets dans mes travaux ; je m’hébète, je me perds, et, si cela durait, ma carrière serait anéantie. Or, comme je ne possède pas un sou de fortune, je…

San-Privato s’interrompt, et ajoute avec un accent d’allégement :

— Mais, Dieu merci, j’ai conjuré le péril à temps, je vais redevenir maître de moi-même.

— Grâce à la grave résolution dont tu parlais tout à l’heure ?

— Oui.

— Cette résolution rétablira donc le calme dans ton esprit ?

— Je n’en puis douter ; j’échapperai enfin à l’obsession d’une idée fixe, incessante, qui tantôt me cause des transports de folle rage, tantôt m’accable, m’énerve et m’arrache de lâches pleurs.

— Enfin, Albert, cette résolution, quelle est-elle ?

— Je me marie…

— Ah ! — fit madame de Hansfeld avec un calme apparent, mais devenant livide ; — ah ! tu te maries ! Et qui épouses-tu ?

— Jeane Dumirail.

Un silence de quelques moments succéda aux dernières paroles de San-Privato, qui venait d’apprendre son mariage à madame de Hansfeld. Bientôt celle-ci, pâle, agitée, en proie à une violente émotion qu’elle s’efforçait en vain de dominer, s’écria d’une voix palpitante d’angoisse :

— Albert, si tu épouses cette fille, tu es perdu !

— Je te croyais au-dessus de pareilles faiblesses. Quoi ! Antoinette, toi, jalouse ?

— Moi ?… Ah ! que la foudre m’écrase si, en parlant comme je fais, j’obéis à la jalousie ! N’avons-nous pas cent fois causé des avantages qu’un riche mariage t’offrirait probablement un jour ? Non, non, j’aurais été jalouse de tes maîtresses avant que de l’être de ta femme ; mais, je te le répète, prends garde ! s’il s’accomplit, ce mariage sera ta perte !

— Pourquoi ma perte ?

— Jeane Dumirail a pris sur toi un empire effrayant.