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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/534

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— Ce refus est peu probable ; mais, en ce cas, ma position serait difficile, sans être cependant inextricable.

— Albert, — reprit madame de Hansfeld ensuite d’un instant de recueillement, — un jour, tu m’as dit : « Le hasard peut amener d’étranges revirements dans nos existences. Ainsi, mon cousin Maurice est fils unique. Il arrive à Paris ; je suppose qu’il soit victime d’un accident, d’une chute de cheval, d’un coup d’épée reçu en duel, que sais-je ? il résulterait de cet accident que, par suite de la mort de Maurice, je deviendrais l’héritier des biens de mon oncle Dumirail… » Telles ont été tes paroles, Albert ; aussitôt, j’ai deviné ta pensée secrète.

— Ma chère, ceci est trop affirmatif, — reprit froidement San-Privato ; — tu peux avoir cru deviner ma pensée secrète.

— Soit ; tu ne te compromets jamais, même avec moi. Toujours est-il que, devinant ou croyant deviner ta pensée secrète, j’ai agi en conséquence, et, sans l’intervention de ce damné Charles Delmare, ton cousin succombait dans son duel avec d’Otremont, et tu héritais presque certainement de la fortune de ton oncle.

— Ceci rentrait dans l’ordre naturel des choses ; conclus.

— Je suis très-riche, Albert ; je serais pauvre, que je te tiendrais encore le même langage.

— Quel langage ?

— Ces sommes considérables que je prélèverai sur l’héritage de Maurice me seront superflues, et, encore une fois, me fussent-elles nécessaires…

— Eh bien ?

— Je serais si heureuse de te les restituer ! Je dis restituer, puisque, après tout, tu aurais été l’héritier légitime de ton cousin, et…

— Ma chère, — reprit San-Privato avec hauteur, — pour la première fois depuis que je vous connais, vous manquez de tact, vous me blessez à vif…

— Mon Dieu, que dis-tu ? cette proposition ?…

— Est une insulte !

— Albert, je t’en conjure, excuse-moi ; pouvais-je m’attendre à une pareille susceptibilité de ta part, lorsque, par suite de ce duel, tu héritais de… ?

Qu’est-ce à dire ? — reprit durement San-Privato interrompant madame de Hansfeld ; — me faut-il vous répéter, madame, que, selon l’ordre naturel des choses, la succession de mon oncle m’était un jour ouverte par le seul fait du décès de mon cousin, tué dans un duel auquel j’étais complétement étranger ?