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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/535

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— Complétement étranger, Albert ?

— Certes, madame.

— Puisque vous le voulez, qu’il en soit ainsi.

— Il en est ainsi, et voilà pourquoi je recueillais l’héritage de mon oncle sans l’ombre d’un scrupule ; mais dépouiller mon cousin par votre entremise serait une vilenie infâme, et je crains fort de ne jamais vous pardonner de m’avoir cru capable de la commettre.

Madame de Hansfeld contemplait San-Privato avec stupeur, ne doutant plus de la sincérité de son indignation ; et, en effet, sincère était son indignation, car l’âme des scélérats offre souvent des mystères étranges. Cet homme n’eût pas hésité à accepter la succession de Maurice, dont il eût été moralement l’assassin, et il se révoltait réellement à la pensée de dépouiller son cousin par l’intermédiaire d’une courtisane.

Le silence de quelques instants que gardaient Albert et madame de Hansfeld fut interrompu par le tintement de la sonnette extérieure de l’appartement.

— Antoinette, — dit vivement San-Privato très-surpris, — qui peut sonner ici ?

— C’est assurément Augustine, ma femme de chambre de confiance ; seule, elle sait que j’ai loué cet appartement, dont elle prend soin et où elle est venue allumer du feu ce matin. Elle ne se permettrait pas de nous interrompre s’il ne s’agissait sans doute de quelque circonstance extraordinaire.

— En ce cas, allez ouvrir, et sachons quelle cause imprévue amène ici votre femme de chambre.

— Madame de Hansfeld sort, et, après une courte absence, elle rentre tenant une lettre à la main.

— Eh bien ! — dit San-Privato, — que s’est-il passé ?

— Votre oncle, M. Dumirail, s’est présenté, il y a une heure, chez moi, non plus menaçant, et courroucé, mais en larmes et suppliant.

— En larmes, suppliant ; et pourquoi cela ?

— Il s’est adressé à mon valet de chambre Joseph, le conjurant de l’introduire près de moi ; l’émotion de votre oncle était si attendrissante, que Joseph, les larmes aux yeux, a juré que je n’étais pas à l’hôtel, ce dont M. Dumirail pouvait s’assurer en visitant tous les appartements ; convaincu de la vérité, votre oncle alors a demandé de quoi m’écrire une lettre ; il a donné deux louis à Joseph, en l’adjurant de me la faire porter le plus tôt possible, si l’on savait où me trouver, sinon, de me la remettre dès que je