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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/543

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longue disparition, si blâmable à tant de titres, il recevait un accueil bienveillant. Interprétant de la sorte l’accablement et le douloureux embarras où il voyait plongé son père :

— Depuis que je suis majeur et que j’ai prouvé la fermeté de mon caractère en restant pendant six semaines absent, mon père tremble de me voir échapper à son autorité ou à sa tendresse, — se disait Maurice. — Voilà pourquoi, au lieu de m’accueillir avec des récriminations et des menaces, il se borne à me reprocher affectueusement les inquiétudes dont j’ai été cause ; il semble plus embarrassé que je ne le suis ; à peine ose-t-il me regarder. Je suis maître de la situation ; il le sent bien, puisqu’il dépend de moi de me séparer de lui. Or, évidemment, il doit accéder à toutes mes exigences, plutôt que de risquer de me voir quitter de nouveau la maison paternelle. Jamais je ne rencontrerai une circonstance plus favorable pour poser mon ultimatum… Je suis maintenant trop certain de le voir accepter. Enfin, je tâcherai de suffire à mes besoins moyennant cette pension annuelle de trente mille francs.

Et, s’adressant délibérément à M. Dumirail :

— Vous me reprochez, mon père, les inquiétudes que vous a causées mon absence ; je vous avais cependant écrit pour vous rassurer d’abord, et ensuite afin de vous faire connaître pour quelles graves raisons j’ai dû attendre, dans une retraite ignorée de vous, l’époque de ma majorité. Or, je suis aujourd’hui majeur ; en d’autres termes, libre et maître de mes volontés. Je ne m’écarterai jamais, sans doute, du respect que je vous dois ; mais, en même temps, je vous le déclare, mon père, je suis résolu, inflexiblement résolu à demeurer à Paris, à renoncer à une carrière pour laquelle je ne me sens aucune vocation ; enfin, j’espère obtenir de votre bonté, de votre équité, les moyens de vivre honorablement ici, comme y vivent tous les jeunes gens dont les parents sont dans une condition de fortune analogue à la vôtre. J’ai donc pensé que je pourrais attendre de vous une pension annuelle de…

Maurice suspendit pendant un moment la fin de sa phrase, ne sachant encore si le silence que gardait M. Dumirail devait être considéré comme un encouragement à poursuivre l’exposé de ses exigences, et, inclinant bientôt à cette interprétation, Maurice reprit :

— J’ai, dis-je, pensé, mon père, que je pouvais attendre de vous une pension annuelle de… de trente mille francs.

M. Dumirail ne parut ni surpris ni courroucé de la demande et