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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/544

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du chiffre de la pension ; il continua de garder le silence, contemplant son fils avec une expression de tendre et douloureuse commisération.

— J’en étais certain : mon père, dans la crainte de me perdre, souscrira à toutes mes conditions. J’aurais exigé quarante mille francs, il me les eût certainement accordés, — pensait Maurice.

Et, touché de ce qu’il considérait comme une adhésion tacite à ses prétentions, il reprit tout haut, d’un ton d’affectueuse reconnaissance :

— Puisqu’il m’est maintenant permis de croire que vous m’accordez ma demande, mon père, vous pouvez être certain de n’avoir désormais qu’à vous louer de moi ; je m’engage à me contenter de ces trente mille francs de pension et à ne plus contracter de dettes…

— Pauvre enfant !… — murmura M. Dumirail étouffant un gémissement. — Ah ! pauvre malheureux enfant !

Maurice, étonné de cette exclamation, l’interpréta bientôt comme une preuve de satisfaction et d’encouragement de la part de M. Dumirail, heureux de la promesse qu’il lui faisait de ne plus contracter de dettes.

— Mon père, — reprit Maurice, enchanté du bon succès de sa démarche et voulant tout de suite résoudre les questions qui pouvaient soulever quelque dissentiment entre lui et ses parents, — permettez-moi d’ajouter que, dans le cas, d’ailleurs peu probable, où vous et ma mère voudriez continuer d’habiter Paris, je désire occuper un logement séparé ; la complète différence de nos goûts, de nos habitudes, de nos âges, rendant, vous le comprenez, difficile et gênante pour vous ainsi que pour moi notre habitation en commun. Ai-je besoin de vous promettre, mon père, que, bien que ne vivant plus sous le même toit, nos relations ne seront point interrompues pour cela ; je viendrai chaque jour vous voir, ainsi que ma mère. Mais il est, du reste, très-probable que vous préférerez retourner tous deux au Morillon… En ce cas, je vous écrirai souvent, et j’irai assurément passer chaque année près de vous, dans le Jura, une partie de la saison de la chasse.

— Pauvre Maurice ! — répéta M. Dumirail d’une voix de plus attendrie et brisée.

Puis, ne pouvant plus contenir ses sanglots, il cacha sa figure entre ses mains et balbutia en sanglotant :

— Ah ! malheureux enfant ! malheureux enfant !…