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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/545

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Madame Dumirail était enterrée depuis la veille ; son mari, au lieu de s’indigner des étranges prétentions de son fils, ressentait pour lui une profonde pitié, songeant qu’ignorant encore la mort de sa mère, fin prématurée à laquelle il n’était pas étranger par ses désordres, cet infortuné venait, près de cette couche mortuaire à peine refroidie, signifier à son père les insolentes exigences d’une vie de luxe et de plaisirs.

— Ah ! — se disait M. Dumirail, — si mon fils connaissait la perte irréparable dont nous sommes à jamais affligés, avec quelle horreur il étoufferait ces désirs de folle prodigalité ! Quels remords dans cette pensée, que sa mère, involontairement repoussée par lui lorsqu’il est revenu ivre au logis, a fait une chute dangereuse, cause première de sa maladie, empirée des chagrins, des alarmes qu’il nous causait, et rendue mortelle par sa disparition, dernier coup auquel ma femme n’a pu résister !… À quoi bon récriminer contre les folles demandes de mon fils ? Hélas ! il ne les regrettera que trop avant peu d’instants ! La voix de sa conscience sera bien autrement vengeresse que ne le serait la mienne. Elle aura bientôt fait justice de ces funestes rêveries de dissipation et de fainéantise. La leçon sera terrible, trop cruelle peut-être ; car, malgré ses égarements, Maurice nous aime. Il idolâtrait sa mère ; il n’a pas eu même la triste consolation de recevoir ses embrassements suprêmes et de la conduire à sa dernière demeure ! Puisse la douleur dont il va être frappé ne pas être pour lui aussi dangereuse qu’elle est imprévue ! Je me reproche maintenant d’avoir trop rassuré Maurice en lui disant que sa mère reposait… Comment, à cette heure, l’instruire de la réalité sans transition trop brusque ?

Telles étaient les secrètes pensées de M. Dumirail au moment où son fils, achevant de poser son ultimatum, augurait très-favorablement pour ses projets du silence que gardait son père. Tout à coup la porte du salon s’ouvre, et Josette, pâle, les yeux rougis par les larmes, vêtue d’une robe noire et coiffée d’un bonnet de deuil, entre, tenant une facture à la main, et dit en sanglotant :

— Monsieur, c’est la note du menuisier… pour… le cercueil…

Mais, apercevant seulement alors Maurice dans la pénombre du salon, la servante jeta un cri de surprise et d’effroi ; puis elle ajouta d’une voix navrée :

— Ah ! monsieur Maurice !… monsieur Maurice !… les chouettes et les chiens hurlaient la mort quand nous sommes partis du Morillon ; les présages ne trompent pas, et notre pauvre madame…