Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/547

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être d’autant plus effrayé des résultats forcés, des nécessités normales de ces convoitises, qu’en mal ou en bien, Maurice, notre type, n’est au-dessus ni au-dessous de la moyenne des jeunes gens placés dans une situation analogue à la sienne ; peut-être même est-il, moralement parlant, mieux doué que le plus grand nombre d’entre eux… Disons plus, ses regrets sont réels, sincères sont ses larmes, poignante est son affliction, cruels sont les reproches qu’il s’adresse en songeant que son inconduite a hâté le terme de la vie de sa mère ; et cependant, à ces regrets, à ces larmes, à cette affliction, à ces remords se mêle constamment l’écho de cette horrible convoitise « Je suis majeur, l’héritage maternel m’appartient dès aujourd’hui. » En d’autres termes : « Me voici enfin délivré de toute sujétion envers mon père ; me voici maître et dispensateur absolu d’un héritage de cinq à six cent mille francs, qui me permettra de déployer le faste convenable à l’heureux amant de madame de Hansfeld. J’aurai huit ou dix chevaux dans mon écurie, un charmant petit hôtel, où je recevrai tour à tour ma belle maîtresse et mes joyeux compagnons de plaisir, etc., etc. »

Il faudrait des pages pour exprimer le monde de faits et de choses que la pensée embrasse en une seconde ; aussi, ce que nous venons d’exposer sommairement en quelques lignes et mille autres fastueuses espérances contenues dans ces quatre mots : « J’hérite de ma mère, » apparaissaient déjà aux yeux larmoyants de Maurice, comme autant de consolantes visions se dessinant couleur de rose et argent sur le fond lugubre de son deuil filial !

— Et puis, après tout, il faut se faire une raison, — doit se dire plus tard Maurice ; c’est quelque chose d’affreux, sans doute, que de perdre sa mère, et cela devient doublement affreux lorsqu’au fond de l’âme une voix vous crie : « Tes désordres ne sont pas étrangers à cette mort que tu pleures ! » Oh ! certes, il y a de quoi pleurer toutes les larmes de ses yeux ; aussi on les pleure, on les pleurera, ces larmes !… mais, enfin, lorsqu’elles seront pleurées ; lorsque l’on aura religieusement, largement, consciencieusement regretté pendant quelques semaines, voire pendant quelques mois, cette pauvre vieille femme qui dort là-bas, loin, bien loin, clouée dans sa bière, viendra forcément l’heure de la consolation, puis de l’oubli, de l’inexorable oubli ; ainsi va le monde ! c’est la loi de la nature ; les jeunes survivent aux vieux ; le désespoir ne fait pas renaître les trépassés ; le sage se résigne à ce qu’il doit subir, etc., etc.

Oui, ainsi devait bientôt penser Maurice, parce que, dans son