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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/548

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âme déjà dégradée, la perte de sa mère se raisonnait plus qu’elle ne se ressentait ; il devait en être de l’affliction du fils de famille ainsi qu’il en est des vêtements de deuil ; on les revêt scrupuleusement à l’heure dite, et on les quitte avec non moins d’exactitude. Enfin, ce fonds réel d’ingratitude filiale et d’insensibilité qui devait se manifester après le premier apaisement de la fugitive douleur de Maurice, était malheureusement concevable, en ceci : que, dans la vie désordonnée qu’il rêvait, il n’y avait jamais eu place pour sa mère ; son absence éternelle ne pouvait donc le beaucoup toucher ni lui faire aucunement défaut, tandis qu’en effet le contraire se fût produit au Morillon où l’existence du fils et celle de sa mère étaient étroitement liées l’une à l’autre, et confondues dans des habitudes, dans des goûts pareils. En ce cas, la perte de sa mère eût redoublé chez Maurice son attachement religieux à ces occupations, à ces lieux qui lui auraient du moins parlé de celle qu’il eût regrettée incessamment.

Les différentes péripéties de la pensée survenue dans l’esprit de Maurice, et si longuement exposées, mais si imparfaitement décrites par nous, s’étaient chez lui produites instantanément, et, pendant qu’il tenait son père embrassé, fondant comme lui en larmes et comme lui étouffant ses sanglots, affliction en ce moment sincère, nous le répétons, mais fatalement dominée par l’arrière-pensée de la jouissance de l’opulent héritage dont il allait être maître.

— Il ne me reste au monde que toi !… — murmurait M. Dumirail en serrant passionnément Maurice contre sa poitrine.

Et, lorsque leur émotion à tous deux fut un peu calmée, il ajouta en essuyant ses larmes :

— Si le ciel m’a retiré la compagne de ma vie, du moins il m’a rendu mon fils !

Et il poursuivit de sa voix la plus pénétrante, la plus tendre :

— N’est-ce pas, cher enfant, que tu m’es rendu, à jamais rendu ?

— Ah ! mon père, jamais je n’ai songé à me séparer de toi.

— Ne parlons plus du passé, sinon pour louer les angéliques vertus de ta mère. Ah ! si tu savais quelle mort a été la sienne !

— Mon Dieu ! Pauvre bonne mère ! Et je n’étais pas là, je n’étais pas là !…

— Tu sauras du moins la grandeur de sa mort ; sa mémoire te deviendra encore plus chère, encore plus sacrée. Quel cœur ! quel trésor de tendresse inépuisable !

Et les larmes de M. Dumirail coulèrent de nouveau.