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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/553

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— Je m’oppose formellement à ton départ ; ce serait exposer ta santé de la manière la plus impardonnable. Encore une fois, y songes-tu, braver les fatigues de la route dans l’état où te voilà ! Jamais, non, jamais je ne me rendrai complice d’une pareille imprudence.

— Ta tendresse s’inquiète à tort, mon pauvre ami, et…

— En serait-il ainsi, je préférerais cent fois pécher par excès de précaution, plutôt que de risquer de te voir tomber malade en route.

— Ne crains pas cela ; je t’assure, au contraire, que…

— Pardon si je t’interromps, mais j’ai un devoir à remplir envers toi ; je le remplirai, quoi que tu fasses.

— Écoute-moi, de grâce…

— Non, non, bon père, tu écouteras, toi, la voix de la raison ; quittons au plus vite cet hôtel, où tout nous rappelle des souvenirs si douloureux ; allons ensevelir nos regrets, nos larmes dans un quartier solitaire. Là, nous vivrons l’un pour l’autre. Voilà, mon père, ce que dicte la raison ; mais te laisser entreprendre un long voyage dans l’état d’accablement où tu es, jamais, non, jamais je n’y consentirai !

— Combien ta tendre et inquiète sollicitude me touche, par son exagération même ! — répond M. Dumirail très-ému et ne pénétrant pas encore la cause réelle de l’opposition que son fils apportait à son éloignement de Paris. — Rassure-toi, te dis-je. Dès que de loin nous apercevrons les cimes de notre Jura, mon cœur, à cette heure oppressé sous un poids de plomb, s’allégera, je te le répète, à chaque aspiration de mon âme vers nos montagnes, où nous avons vécu si heureux… Mais rester ici, dans cette ville, habiter quelque quartier que ce soit… ne fût-ce qu’un jour, c’est impossible, je tomberais malade à l’instant, et peut-être je ne me relèverais pas de cette maladie. Il est temps, plus que temps que je parte, mon enfant ; il m’a fallu toute la fiévreuse énergie que me donnait l’attente de ton retour pour me soutenir jusqu’ici. Ce voyage, au lieu de t’inquiéter, doit donc, au contraire, te rassurer ; seulement, hâtons-nous ; appelle Josette afin qu’elle s’occupe de nos préparatifs.

— Je t’en supplie, mon père !

— Je te répondrai à mon tour : quoi que tu dises, quoi que tu fasses, et aurais-tu cent fois raison de t’alarmer, je suis résolu à partir aujourd’hui, sur l’heure, et nous partirons.

— Alors, je te le déclare, plutôt que de me rendre solidaire d’un acte qui est à mes yeux le comble de l’imprudence, je ne