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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/552

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foquent encore ; Maurice se jette dans ses bras, le comble de caresses en lui disant :

— Je t’en conjure, mon père, ne te laisse pas abattre ainsi, reprends courage…

— Tu as raison, je manque de courage, j’avoue ma faiblesse, — répond M. Dumirail en essuyant ses larmes. — Mais, que veux-tu ! pendant plus de vingt ans, ta mère a fait le bonheur de ma vie, et, maintenant, je vois, je sens autour de moi un vide affreux, immense, que, seules, ton affection, ta présence pourront combler, et puis, enfin, ici, dans ce Paris maudit, dans cette maison où est morte ma bien-aimée femme, tout envenime, tout exaspère ma douleur… Ah ! malgré l’accablante révélation qui t’attendait, malheureux enfant, j’attendais ton retour avec une cruelle impatience, afin de pouvoir partir au plus tôt ; enfin, te voilà ! et, grâce à Dieu, avant une heure, nous serons en route.

— Avant une heure ! — balbutie Maurice avec un accent de stupeur que son père ne remarque pas. — Comment !… en route avant une heure ?

— Oui, cher enfant, c’est plus que le temps nécessaire pour faire à la hâte nos préparatifs de départ et nous rendre à la poste aux chevaux, où nous prendrons un de ces cabriolets que l’on quitte à chaque relais et…

— Partir aujourd’hui, mon bon père ! s’écrie Maurice feignant de s’alarmer ; — quoi ! te mettre en route, accablé comme tu l’es par la douleur ! y songes-tu ?…

— Rassure-toi, cher enfant, chaque pas que nous ferons vers nos montagnes allégera, ce me semble, le poids de ma souffrance.

— Je t’en supplie, renonce à ce dessein…

— Y renoncer, grand Dieu ! lorsque, depuis hier, j’ai compté, dans mon anxiété dévorante, les heures, les minutes qui me séparaient du moment où je pourrais quitter ces lieux détestés. Ah ! les pieds me brûlent ici…

— Mon père, — reprend Maurice semblant s’arrêter, après réflexion, à une résolution inébranlable, et, dans l’extrémité où il se trouvait, ne reculant pas même devant une hypocrisie sacrilége, — la perte que nous avons faite, a dit une voix vénérée, m’impose de nouveaux devoirs envers toi.

— Tu les accompliras pieusement, je le sais…

— J’y suis décidé, mon père. Aussi, dès aujourd’hui et à cette heure, je dois commencer de les remplir, ces devoirs sacrés.

— Que veux-tu dire ?