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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/558

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— Eh bien, non, mon père… — articula Maurice avec effort. — Non ! il m’est impossible de…

— Il suffit, j’ai compris… Laissez-nous, Josette, — dit le vieillard d’une voix sourde.

M. Dumirail, ne pouvant douter de l’endurcissement de son fils, n’était cependant pas au terme des odieuses découvertes qu’il devait faire dans cette âme déjà pervertie ; car le mal a sa logique comme le bien ; ainsi, à la conviction que son fils ne voulait pas quitter Paris, succéda forcément cette réflexion :

— En ce cas, sur quelles ressources compte Maurice pour subvenir aux folles dépenses qu’il rêve ?

Alors, une nouvelle et horrible appréhension navra le cœur de M. Dumirail, et avant que de se résigner à l’envisager en face, tant elle l’épouvantait, il voulut du moins faire entendre à son fils de véhéments reproches, lui prouver ainsi qu’il n’était pas dupe de son hypocrisie. Alors, le regard menaçant, le visage courroucé, les lèvres contractées par un sourire d’une poignante amertume, M. Dumirail s’écria :

— Vous êtes démasqué ! Votre refus de m’accompagner m’éclaire ! Ainsi, la mort de votre mère, ses volontés dernières, le pardon que, mourante, elle vous a accordé, enfin, mon indulgence, ma tendresse, mes larmes, tout a été vain, tout a glissé sur votre cœur déjà bronzé… Vous voulez rester à Paris, et je sais malheureusement dans quel but.

— Je pourrai regretter, pleurer ma mère aussi bien ici qu’au Morillon…

— Pleurer votre mère !… la regretter !… Tenez, à cette heure, vous me faites frémir. Vos larmes, vos regrets, votre douleur, tout était feinte et mensonge !

— Ah ! mon père, cette accusation…

— N’est que trop méritée. Je croyais, malgré vos égarements, votre cœur encore bon. Je me trompais. Un coup affreux me frappe ! le coup le plus affreux qui me puisse jamais atteindre, sauf ceux que vous me réservez peut-être pour l’avenir. Je perds votre mère ; vous êtes témoin de mon désespoir ; mon premier cri en vous revoyant est : « Mon enfant !… il ne me reste que toi au monde !… nous ne nous séparerons plus désormais… » Et, à ce cri de mon âme déchirée, que répondez-vous : « Allez pleurer ma mère où vous voudrez ; moi, je reste en cette ville. » En d’autres termes : « Je suis incorrigible, je veux continuer de me livrer à ces désordres qui ont causé un tel chagrin à ma mère, qu’elle en est morte avant le temps. » Soit, monsieur… Vous êtes,