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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/565

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du moins, je vous le répète, monsieur, la créature à qui j’ai donné le jour n’aura jamais à souffrir du froid et de la faim.

— Je l’espère, — dit Maurice avec une colère contenue ; — c’est bien le moins que je puisse prétendre !

— Cette prétention-là, monsieur, ne devrait pas être permise à un homme qui doit sa ruine à la paresse et au vice ; car, déplorable iniquité de la destinée ! il est ainsi plus heureux que tant d’honnêtes gens du peuple, qui, après une vie de labeurs écrasants, meurent dans les privations, dans les angoisses d’une misère atroce ; mais ma miséricorde paternelle daigne vous épargner ce suprême châtiment de vos désordres.

— Mon père, vous me déshéritez, soit, — répondit Maurice d’une voix altérée ; — me sera-t-il permis, cependant, de vous faire observer que, sauf des torts dont je ne nie pas la gravité, vous punissez surtout des fautes dont vous vous plaisez à me supposer coupable dans l’avenir ?

— Monsieur, de deux choses l’une : ou, vous amendant et usant sagement de votre fortune, vous jouirez de vos vingt-cinq mille livres de rente dans une complète oisiveté, ou bien vous aurez dissipé en peu d’années cet héritage. Or, dans le premier cas, vos revenus étant plus que suffisants à vous donner toutes les jouissances que l’homme peut raisonnablement désirer, ma succession n’ajouterait donc qu’un très-inutile superflu à votre superflu ; dans le cas, au contraire, et il est inévitable, où vous dissiperiez vos biens, j’accomplis un devoir sacré en employant à l’amélioration du sort de mes semblables une fortune qui eût disparu dans le gouffre de vos prodigalités, aussi méprisables que stériles.

— Cependant, mon père…

— J’ai dit ma volonté, monsieur, et c’est assez, — répond M. Dumirail avec un accent d’inflexible autorité.

Puis il ajoute :

— Avez-vous un notaire ?

— Pourquoi cette question, mon père ?

— Parce qu’il faut que vous choisissiez un notaire, entre les mains de qui mon mandataire remettra, sous peu de jours, vos comptes en règle et les sommes qui vous reviennent.

Puis, agitant le cordon de la sonnette, M. Dumirail ajoute :

— N’oubliez pas, monsieur, de me faire parvenir l’adresse de votre notaire au Morillon, où je serai après-demain.

— Quoi ! mon père, décidément, vous partez aujourd’hui ?

— Josette, dit M. Dumirail à la servante qui entre, portez le sac de nuit dans le fiacre qui m’attend.