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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/566

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— Mon père, — s’écrie Maurice après le départ de la servante, — je vous en conjure, ne me laissez pas du moins sous le coup de votre colère.

— De la colère ?… Non, non ! — répond M. Dumirail d’un ton à la fois douloureux et solennel. — Le père de famille, obligé de sévir contre son fils, ne cède pas au blâmable entraînement de la colère ; il se recueille en son âme et conscience, pèse le bien et le mal avec l’impartialité d’un juge austère, puis il agit selon que son devoir lui commande d’agir.

— Ainsi, mon père, je ne vous reverrai jamais ?

— Jamais ! à moins que vous ne veniez à moi soumis, repentant, et je ne saurais l’espérer, en suite de ce qui s’est passé aujourd’hui. Mais, je vous le déclare, que vous vous amendiez ou non, ne comptez plus sur mon héritage : vous devez expier votre convoitise sacrilége, vous m’en avez aujourd’hui donné une preuve dont je frémis encore ; elle sera l’effroi de mes derniers jours. Adieu, monsieur ! que Dieu ait pitié de vous !

— C’est fini, — murmura Maurice avec abattement, ému en ce moment suprême par un ressouvenir lointain de son affection filiale, éprouvant un remords de sa conduite passée, cédant enfin à d’involontaires appréhensions pour l’avenir ; — c’est fini, me voilà à jamais séparé de mon père !

M. Dumirail, malgré son inexorable résolution de punir l’odieuse cupidité de son fils, ne perd pas absolument tout espoir en voyant l’accablement de Maurice. Celui-ci, par un acte de ferme volonté, pouvait encore échapper à sa perte en fuyant les tentations de Paris, en échappant à l’influence de madame de Hansfeld, en accompagnant son père, qui, malgré tant de sujets de désaffection, souffrait cruellement à cette heure, où allaient se briser dans son cœur les dernières fibres qui l’attachaient à son fils. — Josette entre en ce moment et dit à son maître :

— Monsieur, vos bagages sont placés dans la voiture.

M. Dumirail ne s’empresse pas de s’éloigner ; il contemple d’un regard bientôt humide de larmes Maurice, qui, la figure cachée entre ses mains, reste assis sur son siége dans une attitude de profond accablement. Le père de famille, par un sentiment de dignité peut-être exagéré, hésite devant une dernière tentative, dont il a, d’ailleurs, tout lieu de craindre l’inutilité. Il a cependant recours à un moyen détourné, en disant à la servante d’une voix péniblement émue :

— Adieu ! bonne Josette ; vous viendrez me rejoindre le plus tôt possible au Morillon, puisque j’y retourne seul !