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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/583

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Et il crie d’une voix brusque :

— Entrez !

La porte s’ouvre, et Maurice paraît dans le cabinet de maître Thibaut.


XXV

Maurice Dumirail est alors âgé d’environ vingt-six ans ; sa figure a perdu ce frais coloris, ce léger embonpoint juvénile qui distinguent le tout jeune homme de l’homme fait ; son teint pâle est çà et là couperosé par l’habitude des liqueurs fortes, auxquelles il vient encore d’avoir recours quelques moments auparavant, afin de puiser dans une excitation factice l’audace nécessaire à l’accomplissement d’un acte qu’il médite ; ses traits se sont depuis longtemps, ainsi que l’on dit, décharnés ; une épaisse barbe brune, les couvrant à demi, donne une apparence redoutable à sa physionomie jadis noble, ouverte et attrayante, mais actuellement transfigurée par l’empreinte indélébile des plus mauvaises passions ; les plis de son front, dus à la fréquente contraction de ses sourcils, annoncent la violence irascible de son caractère encore aigri par les ressentiments des sanglantes déceptions, des avanies, des dédains endurés, cortége ordinaire de la ruine, et enfin par la conscience de l’abjection des ressources à l’aide desquelles il conjure les suites de cette ruine ; en effet, bien que, depuis plus d’une année, il ne possède plus un sou, Maurice Dumirail est vêtu avec élégance et recherche ; sa main est irréprochablement gantée ; le brillant vernis de ses bottes annonce qu’il est venu en voiture chez le notaire ; son athlétique et haute stature se dessine sous les plis d’une redingote noire, coupée à la dernière mode ; son gilet, de velours vert foncé, est orné d’une garniture de boutons corail cerclés de petites perles fines. Nous insistons sur ce détail, parce que la vue de cette garniture de boutons, très-voyante d’ailleurs, et sur lesquels maître Thibaut a par hasard jeté les yeux, paraît singulièrement le frapper, et il dit :