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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/584

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— Je ne me trompe pas ! Je reconnais cette garniture de boutons de corail et de perles ; j’en ai fait autrefois présent à Athénaïs pour orner le corsage de sa robe lorsqu’elle s’est déguisée en Marie de Médicis pour aller à un bal costumé… Est-ce que, par hasard, ce malheureux-là serait le rufien qui achève de ruiner ma diablesse de femme ? S’il en est ainsi, quel métier !… Ah ! c’est ignoble ! Voilà pourtant à quoi peut nous réduire la stupidité de l’inconduite ; posséder à vingt et un ans plus de vingt-cinq belles et bonnes mille livres de rente, et, au bout de quelques années, en être réduit à se vendre à une horrible vieille femme et vivre à ses dépens ; est-ce assez de dégradation, est-ce assez d’infamie ! Et penser que le mandataire de feu M. Dumirail me disait que ce Maurice, devenu aujourd’hui un ignoble rufien, était, à vingt ans, le modèle des fils et des jeunes gens ! Oh ! Paris, Paris ! combien n’en as-tu pas accompli de ces transformations diaboliques ! Ah çà ! mais, si Maurice est aux crochets d’Athénaïs, ce n’est donc pas de l’argent qu’il vient me demander ? À moins qu’Athénaïs, en commère bien avisée, n’accorde à son galant que la pâtée, le logement, les habits, le spectacle, mais peu ou point d’argent de poche, de peur que le drôle n’aille en gratifier quelque coureuse !… Ah ! le beau, l’honnête, le ragoûtant ménage que voilà ! Seulement, en s’accouplant à cet hercule, Athénaïs, si tambour-major qu’elle soit, trouve à qui parler ; elle ne lui cassera pas les membres à celui-ci, comme elle les a cassés à mon maître clerc ! Maintenant, je comprends que Mathurin Blanchard, l’affreux petit bossu, enragé de voir sa mère se ruiner pour son rufien de Maurice, ne songe qu’à la faire interdire !

Pendant que maître Thibaut donnait cours à ses réflexions, Maurice, de son côté, réfléchissait profondément. Il venait de vider d’un trait, dans l’étude du notaire, un flacon d’eau-de-vie, afin d’y puiser le courage d’accomplir un acte devant lequel il eût reculé à jeun ; mais, soit qu’habitué aux liqueurs fortes, à l’enivrement desquelles il demandait parfois l’oubli de son abjection, il n’eût trouvé dans le spiritueux qu’il avait absorbé qu’une excitation momentanée, soit que la gravité même de la situation où il se trouvait eût dissipé presque subitement sa légère ivresse, à peine eut-il mis le pied dans le cabinet du notaire, qu’il retrouva tout son sang-froid, toute la lucidité de son esprit ; il eut pleinement conscience de ses actions, dissimula ses terribles angoisses sous un masque tranquille, prit une chaise avec une parfaite aisance, l’approcha du bureau du notaire ; et il se préparait à s’asseoir, lorsque maître Thibaut lui dit brusquement et durement :