Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/599

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lui portez, cet entretien me sera très-pénible, puisque vous exigez sans doute de moi une franchise absolue.

— Absolue ; mais j’allégerai vos craintes, mon ami, en vous affirmant que, quoi que vous puissiez m’apprendre de la dégradation où Maurice est sans doute tombé, cette dégradation ne me surprendra nullement.

— Et cependant vous vous intéressez encore à lui ?…

— Toujours, puisque, je vous l’ai dit, c’est uniquement par le lien qui m’attache à lui que je tiens encore quelque peu à la vie.

— Vous êtes une femme étrange, ma pauvre Jeane.

— Vous vous méprenez, je crois, complétement, mon cher Richard, sur la nature de l’intérêt que je porte à Maurice. En le supposant aussi dégradé qu’il puisse l’être… — reprit doña Juana avec un sourire presque sinistre, — le juge qui condamne un coupable n’a-t-il pas un intérêt d’équité à cette condamnation ?

— Sans doute ; mais…

— Lorsque Matteo Falcone fait agenouiller l’enfant qu’il adorait et lui brûle froidement la cervelle, parce que cet enfant a commis un vol, Matteo Falcone s’intéressait aussi à son fils…

— Grand Dieu ! Jeane, ces paroles…

— Rassurez-vous, mon pauvre Richard, je ne veux pas tuer Maurice ; seulement je désire vous faire comprendre quelle sorte d’intérêt l’on peut porter à une personne dégradée. Maintenant, de grâce, qu’avez-vous à m’apprendre sur lui ?

— Il est complétement ruiné depuis un an.

— Je m’attendais à cela.

— La cause première et principale de sa ruine a été…

— Madame de Hansfeld, n’est-ce pas, Richard ?

— Elle-même.

— Cela devait être… Et à l’aveugle passion de Maurice pour elle a succédé une profonde aversion ?

— Aussi profonde en effet que méritée, car elle l’a indignement dépouillé ; mais…

— Pourquoi vous interrompre ?

— Une seule question, Jeane, avant de poursuivre cet entretien ; permettez-vous ?

— Je vous écoute.

— Votre cousin, m’avez-vous dit, a été l’objet de votre premier amour de jeune fille ; l’avez-vous revu depuis votre mariage ?

— Non. Mon mariage avait douloureusement irrité Maurice contre moi ; il conservait alors, et peut-être a-t-il encore conservé, aussi présent que moi, le souvenir de notre attachement.