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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/600

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— J’en doute ; car, pour revenir aux renseignements que vous me demandez, je ne crois plus Maurice Dumirail accessible, même par le souvenir, à un sentiment délicat et élevé.

— Ainsi sa ruine l’a complétement perverti ?

— Il n’est que trop vrai. Rien d’honorable ne vibre plus en lui. Lorsque je l’ai vu recourir bassement à la bourse de ses anciens compagnons de plaisir, leur empruntant des sommes qu’il savait ne pouvoir leur rendre, j’ai tenté de l’arrêter dans la voie honteuse où il s’engageait. Il m’intéressait encore autant par sa jeunesse que par l’affection presque paternelle que lui avait portée l’un de mes meilleurs et plus anciens amis, retiré depuis longtemps dans le Jura.

— Vous voulez parler de Charles Delmare ?

— Vous le connaissez, Jeane ?

— Beaucoup… et j’espère aller le voir prochainement dans sa retraite.

— Quoi ! reprend M. d’Otremont de plus en plus surpris des rapports de son ancien ami et de doña Juana, — vous irez visiter Charles Delmare ? Vous le connaissez donc intimement ?

— Très-intimement. J’ai reçu, il y a un mois, la dernière lettre qu’il m’ait écrite. Nous correspondons très-fréquemment depuis l’époque de mon mariage… Mes relations avec votre ancien ami vous étonnent, Richard ?

— Je l’avoue, car je me demande en vain par suite de quelles circonstances…

— Vous oubliez, ou vous ignorez, mon ami, que j’ai passé ma première jeunesse chez les parents de Maurice, dans leur propriété du Jura. M. Delmare était notre voisin, et de ce temps date notre amitié.

— Tout m’est alors expliqué. Mais dites-moi, Jeane, je n’ai pas eu, depuis plus d’une année, des nouvelles de lui. Sa santé est-elle bonne ?

— Malheureusement non… Elle a été, selon ce qu’il m’a écrit, très-altérée par le chagrin ; cependant elle ne doit pas, je l’espère, inspirer de sérieuses inquiétudes.

— Ah ! quel cœur que celui de Delmare, n’est-ce pas, Jeane ?

— C’est le plus noble, le plus généreux des cœurs. Mais vous me disiez, à propos de Maurice, que, le voyant recourir à la bourse de ses anciens amis…

— J’avais tenté de réveiller en lui des sentiments d’honneur… « Il ne vous reste, dans votre ruine, qu’un parti à prendre, lui disais-je : vous êtes brave, intelligent, robuste, excellent cavalier,