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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/602

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voltant, que j’hésite malgré moi. Enfin, vous le voulez, j’achève. Eh bien ! Maurice, jeune, beau, tel que vous le connaissez, s’est à son tour vendu à ces hideuses vieilles femmes… Vous pâlissez, Jeane ?…

— Je l’avoue, j’avais tout prévu, moins cet opprobre ! — dit Jeane en frissonnant.

Et elle murmure tout bas, avec cette expression sinistre dont Richard a été déjà frappé :

— J’arrive à temps, ah ! j’arrive à temps…

— Je vous le disais bien, Jeane, que ce dont j’avais à vous entretenir était horrible…

— Oui, horrible, pour moi surtout !

— Oui, surtout pour vous, Jeane, car je connais la fierté, la délicatesse de votre âme.

— Sans doute, cette ignominie me révolte ; mais ce qui me la rend affreuse, c’est cette pensée que Maurice était autrefois doué de cette délicatesse, de cette fierté de l’âme que vous louez en moi, Richard.

Et, après un moment de silence, doña Juana reprend :

— Enfin, c’est ainsi que Maurice a échappé, qu’il échappe encore, sans doute, à la misère où sa ruine devait le plonger ?

— Oui, et, depuis environ un an, il vit aux dépens de ces femmes, qui se disputent sa possession.

Richard d’Otremont prononçait ces derniers mots, lorsque son valet de chambre, entrant après avoir frappé, présenta sur un petit plateau une lettre à son maître, lui disant :

— C’est de la part de M. Dumirail : il voulait absolument parler à monsieur ; mais, voyant qu’il ne pouvait être reçu, il a laissé cette lettre, en me suppliant de la remettre à monsieur le plus tôt possible.

— C’est bien, — répond Richard.

Il prend la lettre, et le serviteur s’éloigne.

Jeane San-Privato, restée seule avec M. d’Otremont, semble éprouver une anxieuse curiosité à l’endroit de la lettre adressée par Maurice à Richard. Celui-ci, devinant la pensée de la jeune femme, lui offre cette lettre sans la décacheter.

— Merci, mon ami, merci ! — dit vivement Jeane en rompant l’enveloppe.

Elle lit ceci :

« Mon cher monsieur d’Otremont, après avoir autrefois épargné ma vie dans un duel inégal, et témoigné ainsi de la générosité de