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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/601

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engagez-vous soldat. Deux de mes amis sont colonels de régiments de cavalerie en Afrique, où l’on se bat ; je vous recommanderai à eux très-particulièrement. Leur appui, votre courage, votre bonne éducation aidant, vous parviendrez, avant peu d’années, au grade d’officier. Une noble carrière peut ainsi s’ouvrir encore devant vous. »

— Le conseil était digne de vous, Richard. Et que vous a répondu Maurice ?

— Que l’état militaire était trop rude et parfaitement insupportable. D’ailleurs, ajoutait Maurice, il ne voulait et ne pouvait plus vivre autre part qu’à Paris. « Mais, lui disais-je, comment y vivre, à Paris ?… Vous recourez à la bourse de vos amis ; cette humiliante et précaire ressource sera promptement épuisée ; que ferez-vous alors ? — Un homme qui n’est pas un niais se tire toujours d’affaire à Paris, » me répondait Maurice. Et en effet, selon des bruits qui circulent depuis quelque temps, parvenus jusqu’à moi, et malheureusement très-fondés, Maurice s’est tiré d’affaire, comme il dit ; mais à quel prix, grand Dieu !

— Achevez…

— Il est des ignominies telles…

— Richard, je veux tout savoir, et, je vous le répète, je m’attends à tout, connaissant, ainsi que je le connais, le caractère de Maurice, aussi facile au bien qu’au mal. Son avenir devait dépendre du milieu où il vivait et des occasions de faillir. Aussi, vous le dis-je, je m’attends à tout.

— Non, Jeane, vous ne pouvez prévoir ce que j’ai à vous apprendre.

— Qu’est-ce donc ?… Il friponne au jeu ?

— Selon moi, il est tombé plus bas encore.

— Enfin… que fait-il ?

— Voyant la source de ses emprunts tarie et les gens de sa connaissance l’accueillir avec froideur ou dédain, il s’est lancé dans une société plus qu’équivoque : celle que l’on appelle des tables d’hôtes. Il fréquente spécialement celles où se réunissent des femmes vieilles ou sur le retour, et qui trouvent à satisfaire dans ces coupe-gorge leur passion pour le jeu. Quelques-unes de ces femmes sont séparées de leurs maris ; d’autres, n’ayant jamais été mariées, se sont enrichies dans des métiers infâmes : jeunes, elles se sont vendues, et, l’âge venant, elles ont vendu les autres. Eh bien !…

— De grâce, achevez, Richard !…

— Ce qui me reste à vous apprendre est tellement hideux, ré-