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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/604

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généreux sauveur ! complétez, achevez votre œuvre aujourd’hui en me prêtant la somme dont j’ai besoin, car vous me mettrez ainsi à même de reconquérir l’honneur.

« À vous, tout à vous, du plus profond de l’âme.

« Maurice Dumirail.

« P. S. Dans le cas où je ne pourrais pas être reçu par vous, ce soir, je vous laisserai cette lettre. Veuillez m’adresser votre réponse, quelle qu’elle soit, demain matin, entre neuf et dix heures au plus tard, rue Monthabor, no 4. Celui de vos gens que vous chargerez de cette commission montera directement sans s’adresser au concierge, et frappera à la porte gauche de l’entre-sol. J’ouvrirai moi-même. Je joins ici un reçu de la somme en question et de celles dont je vous suis redevable. Grâce à Dieu, le moment est venu pour moi de régler honorablement mes comptes ! »

En effet, à la lettre de Maurice était annexé un reçu dont la teneur suit :

« Je reconnais devoir à M. Richard d’Otremont, qui a eu la généreuse bonté de me la prêter, la somme de trois mille cinq cents francs, laquelle somme je m’engage sur l’honneur à lui rembourser (y compris les intérêts) aussitôt que les circonstances me permettront d’acquitter une dette que je considère comme sacrée, M. d’Otremont étant à mes yeux mon bienfaiteur et le plus noble des hommes.

« Bon pour trois mille cinq cents francs.

« Maurice Dumirail.
« Paris, etc., etc. »

Jeane, malgré l’effrayante impassibilité dont elle ne s’est presque point départie depuis le commencement de son entretien avec M. d’Otremont, n’a pu cacher son dégoût amer en lisant à haute voix cette lettre de mendiant, dans laquelle l’exagération ridicule de sentiments factices le dispute à chaque ligne à une bassesse abjecte. Et cependant cette lettre, presque aussi dégradante que stupide, a été écrite par Maurice, de qui l’esprit, naturellement distingué, cultivé par l’éducation, se montrait jadis rempli de finesse, de grâce, et atteignait parfois à une poétique éloquence, alors qu’il était sous l’impression de la grandeur des beautés de la nature ou sous l’influence de sentiments élevés. Doña Juana, en suite d’un moment de réflexion, reprend :