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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/605

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— Mon ami, que vous semble de cette lettre ?

— Puisse le repentir dont elle témoigne être sincère, ainsi que la résolution de Maurice de s’engager soldat !

— Ruse, fourberie, mensonge !

— Vous croyez, Jeane ?

— Maurice ment et veut vous abuser. Ces phrases ridicules, redondantes, cette humilité honteuse de l’homme qui tend la main, n’ont rien de commun avec le langage simple et digne de l’homme qui dit la vérité et demande loyalement un service.

— Il me répugnait de vous faire connaître mon impression : elle est conforme à la vôtre, non-seulement parce que la forme et le fond de cette lettre ne m’inspirent aucune confiance, mais par cette raison que, si Maurice était réellement résolu à s’engager soldat, il s’engagerait ici à Paris ; l’État ferait les frais de son voyage, et le prêt de cent louis qui m’est demandé a un tout autre but que celui indiqué dans la lettre.

— Évidemment Maurice vous trompe ; cependant, comment se fait-il que, dans le cas où il vivrait des ignobles ressources que vous dites, il soit réduit à ces expédients ?

— C’est là justement l’objection que tantôt m’adressait M. Thibaut, votre notaire.

— Vous le connaissez ?

— Il est depuis fort longtemps chargé de mes affaires, et, à son sujet, je…

Mais, s’interrompant, Richard ajoute, après un moment de silence :

— Revenons à Maurice. Il est probable que les femmes aux dépens desquelles il vit subviennent à tous ses besoins, mais ne lui donnent que peu ou point d’argent comptant, de peur qu’il n’en fasse un usage dont leur jalousie…

— J’ai compris… Ah ! que de honte ! — reprend Jeane pensive, — que de honte !

Et elle ajoute, cette fois tout haut et presque involontairement :

— Allons, il est temps, il est temps…

— Jeane, vous vous abusez, je le crains ; il n’est plus temps !… — dit M. d’Otremont croyant deviner la secrète pensée de doña Juana ; — il est trop tard pour retirer Maurice de cette fange.

— Nous ne nous entendons pas, Richard, — répond Jeane en jetant à M. d’Otremont un regard qui le glace d’effroi ; — il est toujours temps de…

Mais doña Juana n’achève pas sa phrase, et ajoute après une réticence :