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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/606

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— Puis-je garder cette lettre de Maurice ?

— Sans doute, Jeane ; mais quelle signification attachez-vous donc à ces mots prononcés tout à l’heure par vous : « Il est toujours temps. » Votre regard, votre accent m’ont presque effrayé.

— Je veux dire qu’il est temps de donner à Maurice une preuve de l’intérêt que je lui porte, — répond la jeune femme avec un sourire étrange.

Et elle reprend :

— L’adresse que Maurice vous donne en post-scriptum est-elle celle de sa demeure ?

— Je l’ignore…

— Il n’importe, je suis certaine de le trouver là, demain matin, entre neuf et dix heures, puisqu’il doit lui-même attendre la réponse que lui portera votre messager.

— Quoi ! vous voulez ?…

— Voir Maurice ? Certes, puisque tel est l’unique but de mon retour à Paris.

— Soit ; mais il se peut que l’adresse indiquée par Maurice soit celle de la demeure de l’une de ces femmes aux dépens desquelles il vit.

— Quand cela serait ?

— De grâce, songez donc à l’odieux scandale qui pourrait résulter, si l’une de ces créatures…

— Voyait en moi sa rivale ?… Peu m’importe ! Je veux, avant tout et surtout, voir Maurice. J’ai la certitude de le trouver demain à l’adresse qu’il vous indique ; donc, j’irai là.

— Jeane, je vous en supplie…

— Mon ami, je braverais de véritables périls, et quels qu’ils fussent, pour ne pas manquer cette occasion, unique peut-être, de me rapprocher de Maurice. Jugez si une crainte puérile et à peine fondée peut m’arrêter.

— Souffrez, du moins, que, demain… je vous accompagne, et qu’avant de vous laisser monter dans cette maison de la rue Monthabor, je m’informe des gens qui l’habitent.

— Merci de votre offre obligeante, mon ami ; mais elle est inutile. Votre attachement pour moi se crée des fantômes ; encore une fois, quoi qu’il advienne, il faut que je voie Maurice. Le devoir que j’ai à accomplir envers lui est, je vous l’ai dit, le dernier lien qui me rattache encore à la vie.

— Mais, mon Dieu, qu’espérez-vous donc, et pour vous et pour lui ?