Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/611

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Une foi entière.

— Eh bien, je vous jure que si mon espoir n’est pas déçu en ce qui touche Maurice, lui et moi, nous nous mettrons en route demain ou après-demain, afin d’aller joindre M. Charles Delmare, et de rester près de lui jusqu’à la fin de nos jours.

— Il m’est impossible, Jeane, de ne pas croire à des paroles prononcées avec un tel accent de vérité ; mais, si Maurice trompe votre espérance ?

— Je l’abandonnerai à sa destinée, j’irai seule rejoindre M. Charles Delmare.

M. d’Otremont, si cela se peut dire, croyait et ne croyait pas aux paroles de doña Juana, en ce sens qu’il en acceptait comme vrai la lettre, et non l’esprit. Il lui paraissait difficile, presque impossible d’admettre qu’un dénoûment de cette simplicité terminât l’orageuse carrière de madame San-Privato ; sans doute le désenchantement, le dégoût du monde, dont Richard la supposait incurablement atteinte, ne rendait pas invraisemblable le désir qu’elle témoignait de vivre dans la retraite ; cependant, un invincible pressentiment lui cachait une partie de la vérité. Ces doutes pleins d’anxiété augmentaient la tristesse navrante que ressentait Richard au moment de se séparer de Jeane, peut-être pour toujours ; il lui dit d’une voix altérée :

— Il m’est pénible de vous quitter, Jeane, sans avoir pu vous être utile. Adieu donc, et, sans doute pour jamais, adieu. Il est probable que nous ne nous reverrons plus !…

— Qui sait, mon ami ? Mais, en tout cas, soyez certain que je ne quitterai pas Paris sans vous écrire le résultat de mes démarches de demain. Allons, Richard, du courage, ajoute la jeune femme voyant M. d’Otremont qui, incapable de dominer son émotion et ayant honte de sa faiblesse, détourne la tête, afin de cacher ses larmes involontaires ; — vous d’un esprit si sage, si ferme, d’où vient votre tristesse ? Je vais ensevelir dans la solitude la fin d’une existence désormais sans but ; qu’y a-t-il là d’affligeant ?

— Que voulez-vous, Jeane ! mon cœur se brise malgré moi. Mais pardon de ma faiblesse ; seulement, quoi qu’il advienne, n’oubliez jamais que, partout et toujours, et quand même, il est quelque part un homme à vous dévoué corps et âme !

— Je le sais, Richard, et, je vous l’assure, j’emporterai et conserverai comme un de mes meilleurs souvenirs celui de cette soirée.

— Et maintenant, Jeane, adieu, bien cordialement adieu ! reprend M. d’Otremont d’une voix raffermie, et présentant à la jeune