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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/610

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une larme… la première que j’aie versée depuis longtemps… car, depuis longtemps, je ne pleure plus. J’accepterais donc de vous, de vous seul, une pareille hospitalité ; mais je ne…

— Un dernier mot, Jeane. Je ne sais quelles sont vos espérances à l’égard de Maurice ; mais j’ajoute ceci : Un homme… et j’entends un honnête homme… n’a pas, ne peut avoir, en ce qui touche certaines affaires d’intérêt, les mêmes scrupules qu’une femme. Aussi, dans le cas où il serait besoin d’une somme même assez considérable pour aider Maurice à se créer une existence honorable et à l’arracher, ainsi que vous l’espérez sans doute, à la fange où il se traîne, disposez de moi, Jeane ; c’est avec plaisir que je rendrais à Maurice un service sérieux et décisif pour son avenir.

— Ah ! Richard, que de noblesse, que de générosité !

— En ceci, Jeane, j’obéis à des sentiments divers : à l’intérêt que vous portez à Maurice, à celui que je lui ai porté moi-même ; mais surtout, j’obéis à ma reconnaissance envers Charles Delmare. Je dois à ses conseils, à son influence tutélaire de n’avoir pas stupidement dissipé ma fortune, comme tant d’autres fils de famille. J’acquitte une dette d’honneur, en m’efforçant d’aider à la réhabilitation de Maurice, que Charles Delmare aimait paternellement. Et, maintenant, Jeane, j’ai dit : c’est à vous de décider.

— Et, maintenant, Richard, moi, je vous dis que mon pauvre cœur glacé s’est un peu réchauffé à la douce chaleur de vos paroles. J’accepterais aussi dignement votre offre qu’elle m’est dignement offerte, si elle m’était nécessaire ; mais elle ne l’est pas… J’ai d’autres projets sur Maurice. Vous venez de prononcer un nom sacré pour moi ; c’est auprès de lui que je compte me retirer.

— Avec Maurice ?…

— Avec Maurice, si, du moins, mes espérances ne me trompent pas.

— Mais Delmare vit uniquement d’une petite pension viagère, débris de son opulence passée ?

— Cette pension nous suffira. On vit de si peu dans les montagnes du Jura !

— Jeane, Jeane, il me semble que, pour la première fois de votre vie, peut-être, vous manquez de sincérité !

— En quoi donc manquerais-je de franchise ?

— Il est impossible que vous n’ayez pas d’autres projets que ceux…

— Mon ami, — reprend Jeane interrompant M. d’Otremont, — avez-vous foi dans ma parole ?