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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/614

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Or, les sociétés de fainéants uniquement occupés de leurs plaisirs, sont aussi démoralisées que démoralisantes ; à mesure que leur niveau s’abaisse, leurs vices augmentent sous la pression de la gêne qui les réduit à des expédients hasardeux, souvent coupables ou ignobles, afin de se procurer à tout prix les jouissances dont ils ne peuvent se passer. Ainsi Maurice, outrageusement dépouillé par madame de Hansfeld, dont il reconnaît enfin la scélératesse, et rougissant de déchoir aux yeux de la société choisie dont il avait fait jusqu’alors partie, se réfugie dans ce monde équivoque des tables d’hôte et des brelans, peuplé de quelques dupes et d’une immense majorité de fripons. Ses dernières ressources personnelles bientôt épuisées, vient pour lui la nécessité des expédients dégradants : emprunts qu’il sait d’avance ne jamais rembourser, achats à crédit d’objets qu’il revend afin de battre monnaie (espièglerie parfaitement du ressort de la police correctionnelle) ; mais le cercle de ces indélicatesses ou de ces friponneries est restreint. Lorsque Maurice l’a parcouru, il se trouve, pour la première fois de sa vie, face à face avec le spectre de la misère ; les coutures de son unique habit blanchissent, ses bottes s’éculent, son chapeau se graisse ; on lui donne congé de la chambre garnie qu’il occupe ; la maîtresse de la table d’hôte où il mange, femme sur le retour, ancienne entremetteuse enrichie dans ce métier infâme, demande à Maurice le prix de ses cachets, faute de quoi la maison lui sera fermée. Il avoue sa détresse. La créature le trouve à son gré, lui offre amoureusement de vivre avec elle, et sera, dit-elle, généreuse, en retour de quoi son galant lui sera fidèle, et, de plus, avantage inestimable ! grâce à sa force et à sa carrure d’hercule, il imposera aux mauvais débiteurs, aux tapageurs ou à ces étourneaux qui souvent veulent tout casser dans la maison et crient trop haut, sous prétexte qu’ils ont été plumés vifs par les grecs. Maurice accepte le marché. C’est révoltant, sans doute… mais, après tout, il ne déroge point à ses anciennes habitudes : il couche sous des rideaux de soie, foule des tapis, fait bonne chère, va au théâtre ; les mémoires de son tailleur sont payés, on lui loue un cheval au mois (tant il sait se faire adorer) ; enfin, de temps à autre, on lui glisse un billet de cent francs dans la poche de son gilet. Mais une bienfaitrice plus magnifique enlève Maurice à la maîtresse du brelan, et, plus tard, enfin, madame Thibaut conquiert Maurice sur ses rivales.

— Non ! — s’écriera peut-être notre lecteur, — non ! Ce tableau est exagéré jusqu’à l’impossible ! Un jeune homme bien né, bien élevé, ne tombe jamais dans un pareil opprobre !