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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/615

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Pourquoi non ? Qu’est-ce donc, après tout, qu’un pareil opprobre, comparé à cette monstruosité : n’avoir pas eu un regret pour la plus tendre des mères, de qui nos désordres ont hâté la mort, et ne songer qu’à la joie d’hériter d’elle ? Quoi d’étonnant, d’impossible, à ce qu’un jeune homme déjà perverti à ce point accepte plus tard, par terreur de la misère et moyennant un honteux marché, cette existence oisive, sensuelle, ces jouissances auxquelles il a sacrifié les sentiments les plus sacrés ? Et puis on oublie ces précédents que Maurice n’a pas manqué d’invoquer à l’appui de sa conduite, afin d’étouffer le faible cri de sa conscience, qui, parfois, arrivait encore jusqu’à lui à travers la fange où elle était ensevelie. Est-ce que Maurice ne se disait pas que l’on voit accueillis, et accueillis à merveille dans le monde, et dans ce qu’on appelle le plus grand, le meilleur monde, des hommes qui doivent tout, richesses, honneurs, position sociale, à l’influence de leurs maîtresses ? Est-ce qu’il n’existe pas toutes sortes de Potemkins, plus ou moins moscovites, arrivés au faîte de l’opulence ou du pouvoir par la grâce de l’adultère et de la tendresse de Catherines quelconques ? Est-ce que l’on n’entend pas, chaque jour, d’honnêtes gens, ou prétendus tels, dire avec une espèce de considération gaillarde nuancée d’envie libertine :

— Eh ! eh ! ce garçon-là ira loin, car il fait son chemin par les femmes !

Or, le moindre déshonneur rejaillit-il sur cet heureux garçon qui fait son chemin par les femmes ? Point ! Et cependant, où est donc la différence ? Au lieu de se vendre, de se prostituer pour le logis, le vêtement, la nourriture, qui lui manquent, cet heureux garçon, souvent déjà riche, se vend, se prostitue à l’influence d’une protectrice parfois vieille et laide, afin d’obtenir par elle une fonction grassement rétribuée, un cordon ou quelque grosse part du gâteau doré de l’agiotage.

Non, non, ces précédents, non moins honteux, à notre sens, que la conduite de Maurice, l’excusaient à ses propres yeux, lorsque, par hasard et malgré lui, ils s’ouvraient à la crapule où il se traînait et dont il n’avait point encore atteint les dernières profondeurs, et qui sait s’il ne les atteindra pas ? Qui sait si, quelque jour, il ne prendra pas part à l’une de ces ignobles batteries dont le théâtre est quelque rue mal famée, et le héros un hercule d’estaminet, défenseur soldé de l’une de ces malheureuses qui, mises hors la loi par leur infamie, n’ont contre les mauvais traitements qu’elles redoutent d’autre soutien que celui de l’homme robuste qui vit de leur abominable salaire ?…