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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/618

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froid ! la faim ! est-ce que mon père, mon excellent, mon adorable et vénéré père, ne m’a pas généreusement assuré, lors de sa fondation agricole au Morillon, un lit au dortoir, une place au réfectoire, une chemise de toile écrue, un habillement de tiretaine pour l’hiver, de coutil pour l’été, de bons gros souliers à clous ou des sabots, selon la saison, le tout au prix de onze ou douze cent mille francs que me coûte cette agréable retraite qui me reste en perspective ? Ah ! malédiction sur mon père, qui, dans sa haine exécrable, m’a déshérité !

Cette imprécation sacrilége du fils de famille est suivie d’un long silence méditatif, interrompu par l’entrée de madame Thibaut. Elle est descendue de son appartement, situé au premier étage, par l’escalier intérieur communiquant au rez-de-chaussée occupé par Maurice. La femme du notaire a dépassé sa quarante-huitième année ; sa stature dépasse cinq pieds et quelques pouces ; cependant, elle semble être de taille au-dessous de la moyenne, en raison de son énorme embonpoint ; il apparaît dans sa monstrueuse sincérité.

Athénaïs n’ayant pas encore commencé sa toilette, elle n’est vêtue que d’une robe de chambre ; son nez est camard, son œil vert ; ses épais sourcils sont d’un roux moins ardent que celui de ses cheveux, non encore blanchis par l’âge ; quelques-unes de leurs mèches crépues s’échappent du petit bonnet de nuit orné de dentelle et de nœuds d’une coquette recherche, qui rend encore plus repoussants les traits d’Athénaïs ; son visage large et camus, toujours empourpré par la pléthore de son tempérament sanguin, presque apoplectique, est plus coloré que de coutume. Elle entre précipitamment dans le salon et semble inquiète et courroucée. Maurice, à son aspect, n’a pu retenir un geste de dégoût.

— Mon pauvre chéri, — dit Athénaïs d’une voix haletante, — il paraît que nous allons avoir à affronter des scènes dégoûtantes ! Figure-toi que mon scélérat de fils…

— Quoi ?… que voulez-vous ? — répond Maurice avec une brusque impatience, et ayant à peine écouté madame Thibaut, de qui la présence redouble la méchante humeur où il est plongé. — Vous ne pouvez pas me laisser un moment en repos ; que venez-vous faire chez moi ?

— Comment ! chez toi ? En voilà une sévère ! Et à qui donc appartiennent les meubles ? Qui est-ce qui paye le loyer de ton entre-sol ? Eh bien ! tu es encore aimable, toi, dis donc ! sans parler de ta reconnaissance ! Sur quelle herbe as-tu donc marché ce matin ? — dit aigrement madame Thibaut.