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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/617

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tation de long en large dans le salon de l’entre-sol qu’il occupait, entre-sol dépendant de l’appartement du premier étage où demeurait madame Athénaïs Thibaut.

— D’Otremont me prêtera-t-il ces maudits cent louis ? — se disait le fils de famille. — J’ai bon espoir, ma lettre est ronflante !… « Je veux mourir au champ d’honneur ou conquérir mes épaulettes et l’étoile des braves à la pointe de mon sabre !… » Enfin, je dis : « Vous m’avez sauvé la vie, sauvez moi l’honneur ! » Cela doit toucher d’Otremont, assez bonhomme au fond ; et, s’il me prête ces cent louis, à midi j’aurai quitté Paris par le chemin de fer d’Orléans ; je serai ainsi à l’abri des poursuites du notaire, car il ne pourra, s’il dépose sa plainte, la déposer que ce matin de dix à onze heures. Or, s’il y a un mandat d’arrêt lancé contre moi, j’y échapperai. Mais non, M. Thibaut ne voudra pas me perdre ; il m’a menacé afin de m’effrayer ; car, après tout, mon acte n’a pas été suivi d’effet, non ! malheureusement ! Ah ! si j’avais pu ressaisir ainsi ces cinquante mille francs, à peine la moitié de ce que cette infâme Antoinette m’a volé, sans parler des pierreries qu’elle a eu l’art de se faire donner par moi ! Maudite soit la pénétration du notaire ! Ces cinquante mille francs que j’aurais doublés, triplés peut-être aux jeux de Hombourg ou de Spa, me mettaient pour longtemps à l’abri de l’ignoble vie que je mène, mais cent fois moins ignoble encore que la misère. J’ai conservé à peu près mes habitudes de luxe, je ne manque de rien, si non d’argent… Madame Thibaut est inflexible à ce sujet… cent francs par mois d’argent de poche… pas un liard de plus… mais le reste à discrétion ! Atroce créature ! elle me fait horreur ; mais la détresse est pire. Ah ! je l’ai flairée de près, la détresse ! et, ma foi ! j’ai reculé ! habits râpés, bottes crevées, l’appréhension de savoir si l’on dînera, ou si l’on rentrera le ventre creux dans le taudis où l’on couche sur un sale grabat ! Et puis, honte et rage ! se voir vêtu comme un gueux, patauger dans la crotte du boulevard et rencontrer le regard d’insolent dédain de mes anciens compagnons du club ou de ma loge à l’Opéra, passant devant moi à cheval ou en voiture, ainsi que je chevauchais, jadis, au temps de ma splendeur ? Non, non, j’aime mieux vivre comme je vis, et, d’ailleurs, est-ce que je peux choisir une autre existence ? J’ai des besoins de luxe, moi ; légitimes ou non, peu importe ! Je les ai, voilà le fait ! Il faut que je les satisfasse, et j’ai horreur du travail ; quoi donc faire ? Eh ! mordieu ! ce que je fais, vivre aux dépens des femmes ou crever de faim et de froid. Mais, que dis-je ? — ajoute Maurice avec un éclat de rire sardonique, — le