Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/621

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

XXVIII

Maurice Dumirail, nous l’avons dit, est resté d’abord pétrifié à l’aspect de Jeane ; il la revoyait aussi belle, plus belle encore qu’autrefois ; mais sa physionomie glaciale exprimait une tristesse si morne, le regard fixe, pénétrant et d’une impitoyable sévérité qu’elle attachait sur Maurice, immobile et muet, était tellement significatif, que ce misérable ne douta plus que sa cousine ne fût instruite des actes qui le déshonoraient. De ce déshonneur, il eut alors pleinement conscience et remords, parce que la présence de madame San-Privato éveillait en lui les nobles souvenirs de sa première jeunesse, de son premier amour, ce sentiment ayant survécu dans son cœur, ainsi que dans celui de Jeane, à leurs communs égarements. Ces douces remémorances, causées par l’aspect de la jeune femme, arrachèrent pendant un moment Maurice à l’actualité ; il y fut bientôt rappelé par la voix stridente du bossu, annonçant à sa mère, avec une joie diabolique, la visite d’une rivale. Maurice frissonne de honte, d’effroi, en songeant à la scène, à la fois ignoble ou violente, dont Jeane va être spectatrice et dont elle peut devenir victime ; car il connaît l’emportement, la grossièreté, la féroce jalousie de madame Thibaut ; il ne pense qu’à soustraire la jeune femme aux dangers qu’il redoute, et, pendant que le bossu s’empresse d’introduire sa mère dans le salon, Maurice, éperdu, saisit sa cousine par la main, et, cherchant à l’entraîner, il s’écrie :

— Viens, viens, sortons !…

— Non, je reste, — répond doña Juana, — je reste. Je suis venue ici pour tout voir, pour tout entendre ; je veux tout voir, tout entendre, impassible comme le juge, inexorable comme le justicier.

— Jeane, je t’en supplie, fuyons ; tu ne sais pas de quoi est capable cette horrible mégère !

Doña Juana répond à Maurice par un geste négatif, croise dé-