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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/640

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d’arriver à Genève assez à temps pour fermer les yeux à madame la duchesse, la mère de M. le marquis.

Et, s’adressant aux gens de la poste avec une extrême présence d’esprit, l’avisé serviteur ajoute :

— Allons, postillons, dépêchons-nous, vite, vite !

— Le fait est, mon brave, que ces garçons-là sont de fameux lambins, reprend le brigadier de gendarmerie complétement dupe du mensonge du domestique et fasciné par ces qualifications sonores de marquis, de marquise, de duchesse.

Et il ajoute :

— Allons, mon brave, il faut espérer que vos respectables maîtres n’arriveront pas trop tard à Genève pour remplir un devoir, qui n’est, fichtre ! pas gai du tout.

Et le gendarme ajoute, en manière de consolation philosophique, en aspirant une prise de tabac :

— Que voulez-vous, mon garçon, nous sommes tous mortels, tous tant que nous sommes, duchesses ou bergères !

— C’est fièrement vrai, allez, ce que vous dites là, brigadier, répond le domestique.

Et, s’élançant sur le siége de derrière de la voiture, il crie au postillon :

— En route, et bon train !

La voiture partit au galop des chevaux et passa devant le brigadier, qui s’effaça et fit le salut militaire à M. le marquis et à madame la marquise, qui s’en allaient fermer les yeux à madame la duchesse.


XXXI

Maurice Dumirail, lorsque la voiture, sortie de la ville, roula de nouveau sur la grande route, dit à Jeane d’une voix étouffée :

— Je tremble encore de la peur que m’a causée la présence de ces gendarmes ; quelle vie ! oh ! quelle vie !

— Cette vie d’angoisses, de terreurs continuelles ne fait que de commencer pour toi, — répondit doña Juana toujours impassible.