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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/65

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accueil dont il a été honoré par ce souverain, ce serait véritablement bien fâcheux. »

— Très-fâcheux, s’il en était ainsi ; mais rien ne nous autorise, après tout, à prêter un mauvais sentiment à ce pauvre Albert. Seulement, tout en lui rendant justice, il est permis de croire que, chez lui, les qualités de l’esprit sont encore supérieures aux qualités du cœur. Mais qu’importe ! ce n’est pas avec le cœur que l’on réussit dans la diplomatie.

— Malheureusement, non, mon ami, puisque la dissimulation, la ruse, la duplicité, deviennent, dit-on, les qualités presque essentielles d’un diplomate. Ce n’est pas dire, mon Dieu ! que ce cher Albert soit ou devienne jamais faux et dissimulé en sa qualité de diplomate…

— Il serait aussi déraisonnable qu’injuste de le supposer ; mais enfin, il est évident que notre neveu n’acquerra pas sans doute, dans la carrière qu’il a embrassée, certaines qualités du cœur… et qui, sans lui manquer entièrement, ne sont peut-être pas à la hauteur de ses qualités d’esprit… et, néanmoins, il parviendra aux fonctions les plus élevées. Oui, notre neveu sera comblé d’honneurs, de distinctions… tandis que notre brave Maurice, si noblement doué du côté du cœur…

— Allons, mon ami, soyons justes, — reprit madame Dumirail, interrompant son mari ; après tout, si la carrière de notre fils doit être aussi obscure que celle de son cousin doit être éclatante, c’est que, par goût, Maurice préfère l’obscurité à l’éclat ; car, enfin, tu l’as dit toi-même, notre fils, grâce à ses facultés naturelles, eût parcouru avec distinction quelque profession que ce fût… et j’aurais pu, comme ma belle-sœur, être orgueilleuse de mon fils, quoique je sois orgueilleuse de lui à un autre point de vue ; et, certes, s’il avait beaucoup voyagé, il serait tout aussi intéressant à entendre qu’Albert l’a été ce soir…

— Certainement… et, si à notre tour nous voulions faire valoir Maurice, nous n’aurions qu’à lui demander de raconter ses chasses au chamois, ses ascensions à travers les précipices jusqu’aux cimes les plus escarpées de nos montagnes… et ces récits vaudraient, après tout, le récit de fêtes de cour… Dieu merci ! notre fils n’a rien à envier à son cousin…, — dit M. Dumirail.

Et, ainsi que sa femme, il demeura un moment silencieux et pensif sans s’apercevoir, non plus qu’elle, qu’après avoir fait sincèrement un grand éloge de leur neveu, ils en étaient venus, grâce à des transitions insensibles, malgré leur équité naturelle, à le dé-