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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/656

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— Il est de mon devoir de te les ouvrir : tu as été faussaire, tu as été homicide.

— Contre ma volonté ; la violence de mon caractère m’a emporté…

— J’en conviens ; de même que le faux que tu as commis était une sorte de représaille. Quoi qu’il en soit, si l’on t’arrête et si tu es assez lâche pour survivre à ton arrestation, ainsi que parfois je le crains…

— Jeane !

— Tu seras traîné sur le banc des faussaires et des assassins.

— Malheur à moi !

— Les ignominies de ta vie seront étalées au grand jour ; tous ceux que tu as connus, au temps où tu n’étais encore qu’un prodigue, sauront que, dans une rixe ignoble contre le fils de la femme aux dépens de qui tu vivais, tu as tué ce malheureux. Tu seras là, sur la sellette, exposé aux regards curieux et méprisants de la foule, et, parmi ces témoins de ton opprobre, tes yeux rencontreront peut-être quelques-uns de tes anciens compagnons de plaisir.

— Mon Dieu !… Ah ! c’est affreux !

— Ne compte sur la pitié de personne ; tu n’inspireras que dégoût et aversion ; ton crime n’aura pas même pour excuse l’entraînement d’une passion, telle que la jalousie ou la vengeance !… Non ; tu étais aux gages d’une hideuse vieille femme ; son fils te reprochait de ruiner sa mère, et tu as tué ce malheureux d’un coup de pied : ton meurtre n’est pas même effrayant, il est ignoble ; il ne révolte pas, il soulève le cœur.

— Ah ! tu es sans pitié…

— Je fais mon devoir, Maurice, en te montrant la réalité dont tu détournes la vue avec une coupable faiblesse… Écoute encore : ton homicide sera sans doute, aux yeux de tes juges, entouré de ce qu’on appelle des circonstances atténuantes ; tu échapperas certainement à l’échafaud, peut-être au bagne ; mais tu seras inévitablement condamné à de longues années de prison.

— Hélas ! je le sais !

— Alors, Maurice, commencera pour toi une nouvelle phase de ton existence auprès de laquelle ton passé sera presque innocent…

— Jeane, cette raillerie est cruelle…

— Je répète qu’au moment où tu entreras en prison, ton passé sera innocent, comparé à l’avenir qui sera forcément, fatalement