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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/67

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Jeane et Maurice se regardèrent à la dérobée ; les palpitations croissantes du sein de la jeune fille décelaient son trouble, son agitation. Maurice, après un moment de silence, dit à sa cousine, avec un accent de récrimination contre lui-même :

— Pourquoi donc hésitai-je ? Est-ce que nous avons à rougir de notre demande ?

Et, s’avançant vers M. et madame Dumirail, Maurice ajouta d’une voix ferme, en s’efforçant de contenir son émotion :

— Jeane et moi, nous nous aimons ; nous venons vous supplier, toi, mon père, toi, ma mère, de consentir à notre mariage, au nom de notre bonheur à tous deux. Est-ce vrai, Jeane ?

— C’est vrai, Maurice, — répondit la jeune fille d’une voix touchante et les yeux baissés.

Puis, les relevant et attachant sur M. et madame Dumirail son regard légèrement humide, regard limpide où se lisait la candeur, la sincérité de son âme, Jeane ajouta :

— Oui, j’aime Maurice autant qu’il m’aime… et, si vous consentiez à notre mariage, chère tante, cher oncle, je serais, je le crois, je le sens, une compagne digne de Maurice, digne de vous, qui m’avez recueillie orpheline et m’avez pu consoler de la perte de la plus tendre, de la plus vénérée des mères.

La démarche des deux jeunes gens devançait les vœux de leurs parents, et de cette démarche ceux-ci s’applaudissaient, très-surpris toutefois de ce que Jeane et Maurice précipitaient ainsi leur demande au lieu de la remettre au lendemain ; mais M. Dumirail, se réservant de pénétrer durant le cours de l’entretien le secret de cette précipitation, répondit :

— Mes enfants, notre tendresse est trop vigilante dans sa sollicitude pour que nous n’ayons pas observé que, depuis quelque temps, vous éprouviez l’un pour l’autre un sentiment plus vif que l’affection fraternelle… et cela presque à votre insu.

― Oh ! certainement ! — répondit naïvement Maurice, — car c’est tantôt, après la rentrée des foins, lorsque j’ai, en riant, proposé à Jeane de partager mon trône de luzerne, que ce partage de trône… a éveillé en moi une idée de mariage. Alors j’ai senti que je n’aimais plus Jeane comme ma sœur…

— Moi… de ce changement je m’étais aperçu avant toi, Maurice, — reprit Jeane avec une grâce ingénue et touchante. — Dès longtemps, j’avais des accès de tristesse sans cause ; je me les reprochais comme une ingratitude, parce que je n’ai pas le droit d’être triste ici, où l’on me comble de bontés. Puis je devenais de plus en plus embarrassée, troublée, Maurice, en ta présence.