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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/692

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la petite source souterraine où tu me faisais boire dans le creux de ta main, la vois-tu ? la vois-tu ? Elle coule toujours et semble fumer par ce grand froid, cette eau pourtant si fraîche en été !

Puis Jeane ajoute avec un sourire navrant :

— Adieu, bon vieux mélèze, qui nous as tant de fois couverts de ton ombrage !… Adieu, chère petite source, où tant de fois se sont rafraîchies nos lèvres ; tu verdiras encore, bon vieux mélèze ; tu couleras toujours, limpide et pure, chère petite source, alors que depuis des années nous ne serons plus, Maurice et moi, que poussière !…

Les deux jeunes gens, redevenus silencieux et pensifs, continuaient de gravir la pente du chemin dont la neige, de plus en plus durcie par l’altitude de la montagne, craquait sous leurs pieds. Bientôt, ils virent au loin, descendant et venant à leur rencontre, les gens du chalet de Tréserve, se rendant à la messe de leur paroisse. Le père et la mère, déjà vieux, avaient vu naître Maurice, et Josette, leur fille aînée, avait autrefois accompagné madame Dumirail à Paris. Le frère et la sœur de la servante suivaient leurs parents. Du plus loin qu’ils aperçurent Maurice, reconnaissable à sa haute stature, les montagnards s’arrêtèrent d’abord très-surpris ; puis, hâtant le pas, ils s’approchèrent :

— Jésus Dieu ! — dit le vieillard — est-il possible ? c’est vous, monsieur Maurice ! c’est bien vous ?

— Et vous aussi, mademoiselle Jeane ? — ajouta la bonne femme ébahie. — Dans le pays, on assurait que vous étiez restés tous deux et pour toujours à Paris, la grande ville.

— Nous voici de retour dans nos montagnes, mes amis, répond Maurice, et nous ne les quitterons plus, ces chères montagnes…

— Ah ! tant mieux, tant mieux, monsieur Maurice ! — reprend le vieillard. — Feu votre honoré père, notre bon maître pendant tant d’années, nous a dit à un chacun que vous aviez toujours votre place à la ferme-école du Morillon, et que tôt ou tard vous y reviendriez, comme l’enfant prodigue. Dame ! après tout, faut bien que jeunesse se passe.

— La nôtre a passé, bon père, — reprend Jeane en souriant ; — nous sommes devenus, sans qu’il y paraisse, aussi vieux que vous, qui avez de si beaux cheveux blancs. Et votre fille Josette, où est-elle, l’excellente créature ?

— Feu M. Dumirail l’a placée à la ferme-école comme lingère, en retour de son attachement pour feu votre brave et bonne mère monsieur Maurice. Pauvre Josette ! elle se rappelle toujours que