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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/697

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Ils n’avaient donc, ni l’un ni l’autre, la figure de deux désespérés ?

— Non ; ils ont été pour nous bien bons et bien avenants. Ils nous ont dit qu’ils revenaient dans nos montagnes pour ne plus jamais les quitter.

— Hélas ! ils n’ont pas menti ! Jésus, mon Dieu ! — dit Josette, dont les larmes coulent de nouveau, — ils n’ont pas menti ! Pauvres jeunes gens ! et quand je pense qu’il y a six ans ils sont partis pour Paris, si beaux, si amoureux l’un de l’autre ! Ah ! maudit présage, maudit présage, tu ne me trompais pas !

— Nous nous sommes doutés du malheur lorsque, en nous en retournant au chalet, après la messe, nous avons rencontré, sur la route du Morillon, les gendarmes à la poursuite de M. Maurice.

— Comment savaient-ils qu’il était monté aux prés de Tréserve ?

— Des gens du Morillon, occupés aux étables avant le jour, ont vu M. Maurice et mademoiselle Jeane entrer dans la chapelle de la ferme et prendre ensuite le chemin du chalet.

— Les gendarmes ont donc monté jusque là-haut, ma mère ?

— Oui ; ils ont su de nous que, deux heures auparavant, nous avions rencontré le jeune monsieur et la jeune dame allant du côté du chalet. L’officier nous a requis de les conduire. Ton père les a guidés, suivant sur la neige la trace des pas de ces pauvres jeunes gens, jusqu’au bout des prés du col, à l’endroit où la montagne est à pic et où se trouve le sentier qui conduit à la grotte de Tréserve. Les gendarmes n’ont pas osé s’aventurer plus loin ; ils ont dit à ton père d’aller visiter la grotte pour voir si M. Maurice n’y serait pas caché ; ton père n’a pas osé refuser ; mais, à mi-chemin et au tournant du sentier, il a vu un piétinement sur la neige, au bord du roc, et puis plus rien, plus de trace.

— Hélas ! c’est de là qu’ils s’étaient tous deux précipités ?

— Mon Dieu, oui ; car hier, en tournant la montagne, on est allé de l’autre côté, au pied de son versant, où l’on a trouvé, dans les rochers, les deux pauvres corps si broyés qu’ils n’avaient plus figure humaine.

— Malheureux M. Delmare ! on aurait dit qu’il attendait pour mourir qu’on eût rapporté les deux cadavres ! Ah ! ma mère, quelle terrible chose ! j’en frissonne encore.

— Tu étais donc déjà ici à ce moment-là ?

— Oui ; car, en apprenant le malheur qui venait d’arriver, j’étais accourue du Morillon offrir mes services à la vieille Geneviève pour l’aider à soigner M. Delmare, pensant bien quel coup affreux lui porterait la mort de ces infortunés.

— Dieu du ciel ! je le crois bien : il les aimait comme ses en-