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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/699

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— Que Dieu ait son âme ! — dit la mère de Josette en essuyant ses larmes : — c’était un digne homme.

En ce moment, les deux femmes entendent dans la salle voisine un éclat de rire nerveux, convulsif, retentissant, qui les frappe de surprise et d’effroi. Elles gardent un instant le silence, et Josette reprend à voix basse et d’une voix tremblante :

— As-tu entendu, ma mère ?

— Oui, c’est la vieille Geneviève ; quel éclat de rire, bonté divine ! De quoi peut-on rire ainsi quand on veille des morts ? Pour sûr, elle devient tout à fait folle.

— Que faire ? Elle a voulu veiller seule cette nuit, près des trois cercueils, empêchant qu’on ne cloue la dernière planche de celui de M. Delmare.

— Mon Dieu ! pauvre vieille, si elle allait se trouver mal ! Josette, si nous entrions là dedans ?

— Je n’ose pas ; tu sais bien qu’elle nous a dit d’un ton bourru : « Allez-vous-en, je veillerai seule mes morts ! »

— Écoute, ma fille, écoute, — reprend la paysanne prêtant l’oreille du côté de la pièce voisine ; — il me semble que Geneviève parle.

Les deux femmes restent silencieuses, attentives et entendent, en effet, quelques mots inintelligibles prononcés par la nourrice d’une voix saccadée ; puis tout se tait.

— Josette, — reprend la métayère, — il me semble que c’est une impiété de laisser une folle veiller des morts : viens, entrons…

— Je n’ose.

— Viens, viens ! — répond la mère de Josette en se dirigeant vers la porte de la pièce voisine ; — n’aie pas peur !

— Si Geneviève allait nous frapper de ce couteau qu’elle aiguise sans cesse ?

— Encore une fois, ma fille, des chrétiens ne peuvent pas laisser une folle veiller des morts ! reprend la paysanne en entr’ouvrant avec précaution la porte du salon, au seuil duquel elle s’arrête un instant, ainsi que Josette.

Plusieurs bougies placées dans des flambeaux éclairent brillamment le salon. Les cercueils de Jeane et de Maurice sont placés à droite et à gauche de celui de Delmare enveloppé jusqu’au cou dans son linceul. Le coffret renfermant les lettres de sa fille a été, selon qu’il l’a recommandé à Geneviève, placé dans sa bière ; sa tête repose sur un oreiller. Tel était son épuisement, sa maigreur au moment où il a expiré, que la mort a peu altéré ses traits. Ses paupières ont été pieusement closes par sa nourrice. Elle a soi-