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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/708

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D’Otremont. — C’est désolant, j’en conviens, d’autant plus désolant que maître Godinot, en homme avisé, se gardera bien de vous donner le prétexte de demander une séparation de corps ou de biens ; il régira votre fortune en bon père de famille, selon l’expression convenue, et sa sordide avarice ne sera, aux yeux de la loi, qu’épargne sage et prévoyance. Pénétré de ces idées et empressé de les mettre à exécution, je me donnai la peine, que dis-je ? le plaisir ineffable de retourner à Beauvais, communiquer ma découverte à maître Godinot, appuyant ma révélation des faits les plus irrécusables. J’ai failli trop triompher, car vous avez été au moment d’être veuve, madame la baronne. Hélas ! oui, votre mari, suffoqué par la joie de vous savoir si riche et de pouvoir si sûrement, si cruellement châtier vos débordements de courtisane en vous imposant la manière de vivre la plus insupportable à vos goûts, à vos habitudes, maître Godinot, dis-je, a failli mourir de joie ; mais, rassurez-vous, madame la baronne, il est maintenant, grâce à Dieu, plein de vie, et, si vous le permettez, je vais avoir l’honneur de vous le présenter.

Madame de Hansfeld, livide. — Qu’entends-je ! Quoi ! cet homme ?…

D’Otremont. — Cet homme est là, dans son salon, calculant d’avance ce que rapportera la vente de ce magnifique mobilier. Vous sentez bien que je n’ai pas voulu vous laisser le temps de dénaturer vos biens. Ce cher maître Godinot, homme de précaution, s’est fait accompagner d’un huissier chargé de dresser, séance tenante, l’inventaire de votre fortune mobilière et immobilière. (Se dirigeant vers la porte du boudoir.) Ainsi donc, madame la baronne, je vais avoir l’honneur de vous présenter maître Godinot, m’estimant très-heureux d’assister à cette touchante entrevue conjugale, si peu attendue de votre part.

Madame de Hansfeld, bas, à San-Privato. — Albert, je mourrai de rage, je suis écrasée. Que faire ?… encore une fois, que faire ?…

San-Privato, bas. — Eh ! le sais-je ? Comment prévoir un pareil coup de foudre ?

Un valet de chambre, entrant. — Une pauvre vieille femme demande à parler à M. San-Privato.

San-Privato, Surpris. — À moi ?… Que me veut-elle ?

Le valet de chambre. — Elle supplie monsieur de lui accorder un moment d’audience, disant qu’elle vient de très-loin pour remettre à monsieur des papiers très-importants.

San-Privato, réfléchissant. — Que signifie ?… (Haut.) Où est cette femme ?