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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/709

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Le valet de chambre. — On l’a fait entrer dans le salon d’attente.

San-Privato, à part. — Je suis au supplice ! Profitons de cette occasion de sortir d’ici. (À Antoinette.) Je reviens à l’instant. Ne désespérez pas encore, on plaidera. (Il sort.)

D’Otremont, au valet de chambre. — Vous préviendrez les deux personnes qui sont dans le salon que madame la baronne veut bien les recevoir. (Le valet de chambre sort.)

Madame de Hansfeld, anéantie, n’a pas paru entendre l’ordre donné au valet de chambre par d’Otremont. Soudain elle se redresse, livide, les yeux étincelants, les traits contractés par la fureur ; elle écume, elle est hideuse. Elle s’élance au-devant de Richard, et, le menaçant de ses deux poings crispés :

— Scélérat !… je te tuerais si je le pouvais…

D’Otremont, froidement ironique. — Allons, ma chère, vous êtes laide ainsi… Vous ne séduirez pas maître Godinot, si vous vous montrez à lui sous cette figure de mégère. Tenez, justement, le voici ; soyez donc gentille.

Godinot entre dans le boudoir, suivi d’un huissier, muni d’une sorte de registre auquel est attaché un encrier portatif. Il tient une plume à la main.

Godinot, à madame de Hansfeld, en se frottant les mains. — Eh ! eh !… bonjour, madame ma femme… Nous allons diantrement rire… eh ! eh !… Vous avez mangé votre pain blanc le premier, mignonne. (À l’huissier.) Continuons l’inventaire commencé dans le salon. (Se frottant les mains et regardant autour de lui avec éblouissement.) Quelle vente ce sera ! Quels profits !

Tout à coup l’on entend, dans l’une des pièces voisines, ces cris : « Au meurtre !… à l’assassin ! » Presque aussitôt, San-Privato, les traits déjà couverts d’une pâleur mortelle, se précipite dans le boudoir. Son gilet blanc et sa chemise sont ensanglantés, ainsi que sa main, qu’il tient appuyée sur son flanc gauche.

San-Privato, d’une voix expirante. — Antoinette, je meurs, je suis assassiné… Maudite vieille !…

San-Privato chancelle et s’affaisse aux pieds de madame de Hansfeld. Elle pousse un cri d’épouvante, s’évanouit et tombe sur le divan. D’Otremont, M. Godinot et l’huissier, d’abord frappés de stupeur et d’effroi, se rapprochent de San-Privato et tentent de le soulever ; mais, presque aussitôt et après quelques convulsions, il expire. En ce moment, Geneviève apparaît à la porte du boudoir, suivie des domestiques aux mains desquels elle a échappé. Elle brandit son couteau ensanglanté ; elle est effrayante, sa raison est complétement égarée.