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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/71

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— Que te dirai-je, mon père ? mon cœur se serrait, s’aigrissait ; je devenais injuste envers Albert, je l’accusais de raconter ses voyages, d’énumérer ses relations avec ces souverains dans le seul but de se faire valoir auprès de…

— Auprès de nous ?

— Non…

— Auprès de qui donc ?

— Vraiment, mère, c’est par trop stupide, et, maintenant, j’ai honte de…

— Allons, Maurice, dis-nous toute ta pensée avec ta franchise habituelle.

― Eh bien ! j’accusais Albert de vouloir se faire valoir aux yeux de… Jeane… Aussi, je ne saurais te dire, — ajouta Maurice moitié souriant, moitié ému, — non, je ne saurais te dire combien tu m’as rendu heureux, Jeane, lorsqu’au plus intéressant du récit d’Albert, je t’ai vue porter ta main à tes lèvres, afin de cacher un bâillement. Ce bâillement-là, vois-tu, m’a soulagé d’un poids énorme !

— Il est impoli de bâiller au nez des gens, je l’avoue, — répondit Jeane souriant à demi ; — mais je n’ai pas le courage de regretter mon impolitesse en songeant, Maurice, au plaisir que t’a causé ce fortuné bâillement, nerveux sans doute, car, ainsi que toi, je trouvais notre cousin très-intéressant à entendre, mais j’étais encore sous le coup de l’impression qu’il m’avait causée à la première vue.

— Quelle impression, mon enfant ? demanda M. Dumirail ; — était-elle favorable ou défavorable ?

— Il m’avait paru fat, hautain, sûr de lui-même ; son regard me mettait mal à l’aise. Aussi, durant le dîner, je me sentais chagrine, impatiente. Il me semblait, bien à tort évidemment, que M. San-Privato cherchait à se faire valoir aux dépens… de Maurice, non pas à mes yeux, mais aux vôtres, mon oncle, ma tante. Enfin, que dirai-je ? car, ainsi que Maurice, j’ai honte de ces aveux, j’allais jusqu’à reprocher à notre cousin son élégance, les décorations dont il se parait, comme s’il eût voulu méchamment faire ressortir la simplicité des vêtements de Maurice. Ah ! je vous l’assure, chère tante, ç’a été pour moi un grand soulagement, lorsque vous vous êtes levée de table pour rentrer dans le salon ! Je n’aurais pu, quelques minutes plus tard, résister à l’envie de pleurer qui me gagnait…

— Et moi… était-il rien de plus odieux ! — s’écria Maurice rougissant encore d’une colère rétrospective, — et moi, je me