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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/710

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Geneviève, d’une voix rauque et saccadée. — Mon muscadin doit être ici ! J’ai suivi la trace de son sang… (Elle aperçoit le cadavre.) Ah ! le voilà !… Est-il mort ?… Il faut qu’il soit mort ! s’il ne l’est pas, je le finis !… (Elle se jette à genoux près du corps de San-Privato et tâte son visage et ses mains déjà glacées.) Oui, il est mort, bien mort… Il est froid comme était mon Charles… (Éclats de rire insensés.) Ah ! ah ! ah ! ah !… Je le disais bien… moi… Suffit, j’ai mon idée… Quand le bon Dieu roupille, les bonnes gens font son office… Tu es vengé, mon Charles, et ta Jeane aussi est vengée, et Maurice aussi ! (Nouvel éclat de rire.) Ah ! ah ! ah ! ah !… Maintenant, mon Charles, fais-moi une petite place dans ta bière. Hein ! veux-tu ?… Oui… Bon !… Allons, je descends dans ta fosse… (Geneviève feint de descendre dans un trou.) Oh !… oh !… comme il fait humide et noir là dedans !… Enfin, j’y suis… et voilà la vieille nourrice à côté de son nourrisson. Bonsoir, la compagnie !… Je suis morte aussi, moi !

Geneviève laisse tomber son couteau, croise les bras sur sa poitrine, ferme les yeux, se raidit et reste debout, immobile comme une statue, murmurant de temps à autre à voix basse :

— Elle est morte, la nourrice… elle est morte à côté de son nourrisson… do… do… mon Charles… do… do… l’enfant do… Morte, morte… morte… l’enfant dormira tantôt !

D’Otremont, frémissant. — Ah ! c’est affreux !… Cette vieille femme est la nourrice de Delmare, dont il m’a tant de fois parlé. Elle lui donne une dernière preuve de dévouement farouche… Elle n’a pas reculé devant un lâche assassinat… (Contemplant Genevieve avec un mélange d’horreur et de pitié.) Son esprit est complétement égaré ; la folie de cette malheureuse la sauvera.

Godinot, hochant la tête et regardant le tapis d’hermine taché de sang. — Diable, diable ! voici un superbe tapis gâté. (Frappant dans les mains de madame de Hansfeld, afin de la faire revenir à elle.) Hé !… hé !… ma femme, debout !… pas de simagrées… on ne connaît point les évanouissements à Beauvais ; c’est bon à Paris, ces mièvreries-là ! (S’adressant à l’huissier.) Continuez l’inventaire… (Frappant de nouveau dans les mains de madame de Hansfeld.) Debout donc, ma femme ! et donnez-moi vos clefs, toutes vos clefs : je suis ici chez moi !

FIN DU TOME II ET DERNIER.