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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/231

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il détaché du tronc la tête de l’amiral aux acclamations de la troupe hideuse, qu’elle s’abat sur les restes du cadavre ; on lui coupe les pieds, les mains ; on arrache, on se dispute ses entrailles… Vous frémissez… ces mutilations sacrilèges semblent dépasser les limites de l’horrible… et pourtant ce n’est pas tout… Des femmes, des furies acharnées sur les débris sanglants ont… mais non… je n’ose en dire davantage devant vous, ma mère ; devant vous Cornélie ; devant toi ma femme… Enfin la voix retentissante de fra‑Hervé domine le tumulte de cette orgie d’anthropophages : « — Mes frères ! — s’écrie-t-il, — j’enverrai au pape la tête de cette charogne huguenote ; mais portons sa carcasse étripée au gibet de Montfaucon. C’est là que doivent être accrochés pour y pourrir, les restes du plus pestilentiel scélérat qui ait jamais infecté la France de son hérésie et déchiré le sein de notre tant douce mère l’Église catholique, apostolique et romaine. — À Montfaucon ! la charogne hérétique ! » — hurla cette bande féroce. Une sorte de cortège se forme : fra‑Hervé remet son coutelas au fourreau, plante la tête de l’amiral au bout d’une pique, prend ce trophée d’une main de l’autre son crucifix, et s’avance le premier, éclairé par les porteurs de torches ; les restes informes du cadavre sont liés d’une corde, des égorgeurs s’y attellent, les traînent ainsi dans la boue ; et la troupe se met en marche en hurlant : « — À Montfaucon ! la charogne hérétique ! — Vive Dieu et le roi ! » — En ce moment, malgré ma terreur, je me souvins des conseils de l’hôtelier. « — Tâchez, m’avait-il dit, de vous rapprocher de l’une des portes de la cité et de fuir de Paris. » — Montfaucon étant situé hors des murs de la cité sa porte s’ouvrirait sans doute devant la bande du cordelier ; je me joins à elle, dans l’espoir de pouvoir bientôt m’échapper de Paris. Nous quittons la cour de l’hôtel de Coligny ; le jour était venu. Fra‑Hervé avant d’aller à Montfaucon voulut offrir son sanglant trophée aux yeux de Charles IX et de sa mère ; nous marchons au Louvre. Là, nouvelles scènes de carnage. Les seigneurs et officiers protestants venus à la