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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 11.djvu/230

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assisté à cette scène de cannibales… elle était le prélude d’une autre plus affreuse encore… Oui, — ajouta Louis Rennepont, répondant à un geste d’incrédulité de plusieurs de ses auditeurs. — Écoutez, écoutez… Les ducs de Guise, d’Aumale et le bâtard d’Angoulême quittent, ainsi que leurs soldats, la cour de l’hôtel de Coligny, bientôt envahie par une bande d’hommes, de femmes, d’enfants déguenillés, troupe hideuse, brandissant des bâtons, des couteaux, des barres de fer, et conduite par un moine cordelier tenant un coutelas d’une main, de l’autre un crucifix ; il criait à tue-tête : « — Vive Dieu et le roi ! » — À ces cris répondaient les hurlements de la foule. Deux hommes à figure patibulaire portaient devant le moine des torches ardentes ; elles jettent leur clarté sur le cadavre du grand martyr ; il est reconnu par le cordelier, qui pousse une exclamation de joie infernale, s’élance, s’accroupit sur le corps inanimé de M. de Coligny, lui scie le cou avec son coutelas, sépare la tête du tronc, la saisit par ses cheveux blancs, la montre à la foule, lui criant d’une voix retentissante : « — C’est la part du saint-père… Je lui enverrai à Rome la tête de Coligny[1]. » — Et de ce moine, savez-vous le nom ? — ajouta Louis Rennepont d’une voix altérée, répondant à un cri d’exécration échappé de toutes les lèvres. — Ce moine était cordelier… Honte et malheur à nous !… ce moine est le frère… et l’assassin d’Odelin !…

— Fra‑Hervé !… — s’écrièrent tout d’une voix les membres de la famille Lebrenn ; et un silence d’épouvante régna dans l’armurerie.

— J’ai hâte d’en finir avec ces monstruosités, — reprend Louis Rennepont d’une voix haletante. — Après le tigre vinrent les chacals… après la bête féroce, la bête immonde. À peine fra‑Hervé eut--

  1. Il est certain que la tête de l’amiral de Coligny partit pour Rome, mais l’on se sait pas si elle y arriva. On a de Mandelot, gouverneur de Lyon, l’accusé de réception d’une lettre de Charles IX, qui enjoignait à ce gentilhomme d’arrêter le porteur de la tête et de la lui ôter. (Extrait de la correspondance de Mandelot, publié par M. Paulin-Paris, 1845, page 119.)