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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 13.djvu/288

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expliquer, justifier le refus de M. Desmarais, mais il n’en était pas ainsi. Il voilait évidemment son refus sous un odieux prétexte ; le fougueux tribun de la gauche, l’ami du peuple, l’ardent défenseur des principes d’égalité, de fraternité, était un hypocrite. Il voyait une honteuse mésalliance dans le mariage de sa fille avec un honnête artisan… La dernière illusion de Jean Lebrenn s’évanouit. Il contint son indignation, et s’adressant à l’avocat :

— Un dernier mot, monsieur, afin de bien préciser la cause de votre refus.

— À vos ordres, mon cher ami… à vos ordres.

— Ainsi, monsieur, mon mariage avec mademoiselle Charlotte est impossible, en raison de ce seul fait, que ma sœur, enlevée à sa famille par une entremetteuse, a été, à l’âge de onze ans, violentée par Louis XV… Votre refus n’a pas d’autre cause ?

— Hélas ! mon pauvre Jean, cette cause n’est-elle pas suffisante ?

— Soit, monsieur. Ainsi cette cause est la seule qui provoque votre refus ?

— C’est la seule…

— Vous me le jurez sur l’honneur ?

— Sur l’honneur… je vous le jure.

— Enfin… le citoyen Jean Lebrenn est-il satisfait ? — reprend M. Hubert, qui depuis quelques instants contenait à peine ses emportements, doublement irrité de la persistance du jeune homme et de ce que le financier appelait « l’insigne lâcheté de son beau-frère », assez jaloux de sa popularité, assez couard pour dissimuler le véritable motif de son refus et n’oser point avouer franchement que l’avocat Desmarais ne voulait, ne pouvait pas donner sa fille en mariage à un ouvrier.

Jean Lebrenn, après un court instant de silence, s’adressant M. Hubert  :

— Vous venez de me demander, monsieur, si je me trouvais satisfait des explications de M. Desmarais ?