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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/182

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créature, tout à l’heure glacées, reprennent un peu de chaleur. Mais qu’est-il donc arrivé ? tes vêtements sont trempés d’eau ?

— Bon père, ce matin, au point du jour, je me suis levée comme mes compagnes, nous sommes allées dans la cour ; là, nous avons entendu d’autres esclaves crier : La digue est crevée ! Et ils sont sortis en courant pour aller voir les progrès de l’inondation. Moi, machinalement, je les ai suivis. Ils se sont dispersés. Je m’étais avancée jusqu’à une pointe de terre que baigne l’eau des étangs. Il y a là un gros saule ; bientôt j’ai vu à peu de distance de moi un chariot à demi submergé ; il flottait entre deux eaux, une toile tendue sur des cerceaux le recouvrait.

— Grâce à Dieu ! cette toile, ainsi tendue, faisait ballon ; elle a dû empêcher ce chariot de sombrer tout à fait… Achève ?

— Le vent soufflant dans cette espèce de voile poussait le chariot vers la rive où je me trouvais. Alors j’ai vu cette infortunée, cramponnée à cette toile, le corps à demi plongé dans l’eau.

— Qu’as-tu fait ?

— Il n’y avait pas un instant à perdre : les mains défaillantes de cette pauvre créature, dont les forces étaient à bout, allaient abandonner la toile, son seul soutien. J’attachai le bout de ma ceinture à une des basses branches du saule, l’autre bout à mon poignet gauche, et je me penchai vers l’infortunée en lui criant : Courage ! Elle m’entendit, saisit convulsivement ma main entre les siennes ; mais dans ce brusque mouvement mes pieds glissèrent de la berge, et je tombai à l’eau…

— Heureusement, ton poignet gauche était toujours attaché à l’un des bouts de ta ceinture nouée à l’arbre ?

— Oui, bon père ; mais la secousse fut violente, je crus mon bras arraché de mon corps. Par bonheur, la pauvre femme saisit un pan de ma robe. Ma première douleur passée, je fis de mon mieux, et à l’aide de ma ceinture nouée à l’arbre, sur laquelle je me hâlais, je parvins à regagner le bord et à retirer de l’étang celle avec qui j’allais