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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/258

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gneurs et les misères du siècle, la population des serfs ait pullulé d’une manière effrayante depuis environ cinquante ans ?

— En effet, la population serve, longtemps épuisée, décimée par les famines qui ont régné depuis l’an 1000 jusqu’en 1031, a recommencé de s’accroître, lorsque des temps d’abondance ont succédé aux disettes.

— Oui, et surtout lorsque l’Église, désireuse de repeupler ses domaines, privés de serfs cultivateurs, a eu proclamé la trêve de Dieu, grâce à laquelle, pendant quelques années, il a été interdit de se livrer aux guerres privées entre les seigneurs laïques ou ecclésiastiques pendant trois jours de chaque semaine.

— Heureusement, Yéronimo, cette trêve de Dieu fut acceptée par les seigneurs, aussi désireux que nous de repeupler leurs terres ; plus tard, sans doute, les guerres ont recommencé plus acharnées que jamais, et au grand dommage de l’Église ; mais la population serve a cependant toujours augmenté, surtout depuis trente ans environ.

— Or, réponds-moi ; cet accroissement de plèbe n’a-t-il pas amené les révoltes formidables des serfs de Normandie et de Bretagne ? ne chantaient-ils pas, dans leur rébellion contre la sainteté de la servitude, que l’Église leur prêche comme moyen de salut éternel, ne hantaient-ils pas, ces audacieux : « Pourquoi nous laisserons-nous opprimer ? — Ne sommes-nous pas hommes comme nos seigneurs ? — Comme eux n’avons-nous pas des membres ?Notre cœur n’est-il pas aussi grand que le leur ? — Ne sommes-nous pas cent, deux cents serfs contre un chevalier ? — Battons-nous à coups de fourches ! à coups de faux ! — À défaut d’armes ramassons les pierres du chemin (CC).

— Oui, oui, Yéronimo, ces chants de révolte ont donné le signal de terribles insurrections en Normandie, en Bretagne ; deux ou trois mille de ces rebelles ont eu les yeux crevés, les pieds et les mains coupés.