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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/259

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— Donc pour conjurer à l’avenir de pareils soulèvements, il faut très promptement évacuer au dehors ce trop plein de populaire, car, du moment où la plèbe ne croira plus à l’efficacité de ses misères pour son salut, elle deviendra redoutable puisqu’elle a pour elle le nombre et la force ; or, comme il est urgent d’amoindrir et d’affaiblir cette mauvaise plèbe, elle partira pour la croisade.

— Que veux-tu dire ?

— N’est-il pas évident que sur chaque milliers de serfs qui abandonneront la Gaule pour aller guerroyer en Palestine, une centaine à peine arrivera jusqu’à Jérusalem ? Songe au voyage de cette multitude de misérables partant à la grâce de Dieu, en haillons, sans provisions, accompagnés de leurs femmes, de leurs enfants, ayant à traverser la Germanie, la Hongrie, la Bohême, la Bulgarie, le pays du Danube, et tant d’autres nations que ces bandes désordonnées soulèveront par leurs excès, leurs voleries, leurs massacres ; puisque, durant un si long voyage, de pareilles multitudes ne sauraient vivre qu’en pillant et ravageant sur leur route ; les trois quarts de ces croisés seront exterminés ou morts de faim, de fatigue, avant d’avoir pu atteindre Jérusalem ; le petit nombre d’entre eux qui arrivera devant la ville sainte pour en faire le siège sera décimé ; il ne reviendra donc pour ainsi dire point du tout de cette vile et dangereuse populace !

— Yéronimo, il est insensé de croire qu’elle s’aventurera dans un si lointain et si périlleux voyage !

Le moine romain haussa encore les épaules et reprit : — Quelle est la vie des vilains et des serfs dans les seigneuries laïques ou ecclésiastiques ?

— Leur vie est atroce.

— De toutes les servitudes, laquelle leur pèse davantage ? n’est-ce pas d’être enchaînés à la glèbe ? de ne pouvoir faire un pas hors des limites du territoire de leur seigneur ?

— Oui, pour le plus grand nombre, cette servitude est affreuse.