Aller au contenu

Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Conrad, — dit Gérard, — répète donc ces vaines paroles, cède à ces lâches truands : que peux-tu contre la force ?

— Jamais, — s’écrie le sire de Nointel exaspéré ; — plutôt souffrir mille morts ! Demander pardon à ce misérable serf… lorsqu’à mes yeux il a entraîné… ma fiancée… ma belle et fière Gloriande… — Puis il éclate en sanglots, en cris de rage : — Sang et massacre ! Tout à l’heure j’étais anéanti… maintenant j’ai l’enfer dans l’âme… Oh ! si j’étais libre… je déchirerais ces manants avec les ongles, avec les dents !

— Sire de Nointel, si tu fais vite amende honorable aux genoux de Mazurec, je te mets ensuite une épée à la main, — dit Mahiet-l’Avocat d’armes en s’approchant lentement. — Oui, je te promets de me battre avec toi, et si tu n’es pas plus couard qu’un lièvre, tu mourras du moins en homme.

— Vrai ! — balbutie Conrad dans l’égarement du désespoir et de la fureur, — tu me donneras une épée !… je pourrai mourir en voyant couler le sang d’un de vous… misérables serfs révoltés ! Oh ! du sang… j’en ai soif… j’en boirais ! !…

— Alors dépêche, — répond Mahiet ; et prenant l’épée nue que son frère Mazurec tenait à la main, il la jette sur le sol à peu de distance de Conrad, et mettant le pied sur la lame, il ajoute :

— Fais l’amende honorable… tu seras aussitôt délivré de tes liens ; tu prendras cette épée, et tu boiras mon sang, si tu le peux, fils des Neroweg !

— Allons, beau sire, — reprend Adam-le-Diable s’adressant à Conrad, — allons, répète après moi : « Seigneur Jacques Bonhomme, je m’accuse et me repens humblement… » — Et s’interrompant. — Ne grince point des dents, haut et puissant seigneur… ces grincements te gêneront pour parler… Voyons, répète : « Seigneur Jacques Bonhomme, je… »

« — Seigneur Jacques Bonhomme, » — répète Conrad de Nointel d’une voix strangulée par la colère et couvant d’un œil ardent l’épée